Présentation de la culture libre (v1.2)

« Celui qui reçoit une idée de moi reçoit un savoir qui ne diminue pas le mien, de même que celui qui allume sa chandelle à la mienne reçoit de la lumière sans me plonger dans l’obscurité. »→1→ 1 : Thomas Jefferson, Lettre à Isaac McPherson, 1813

La culture libre est un mouvement social qui milite pour une libération des œuvres de l’esprit, encourageant la libre circulation et la libre modification de celles-ci. Originairement appliqué à l’informatique et plus particulièrement au logiciel, nous verrons que ce mouvement s’est peu à peu étendu et appliqué à des champs bien plus larges, de l’art aux sciences en passant par le design et l’éducation.
Les quatre libertés
Un logiciel libre — et par extension, toute création libre — se doit de respecter quatre libertés fondamentales pour son utilisateur :

• la liberté d’exécuter le programme, pour tous les usages (liberté 0) ;
• la liberté d’étudier le fonctionnement du programme, et de le modifier pour qu’il effectue vos tâches informatiques comme vous le souhaitez (liberté 1) ; l’accès au code source est une condition nécessaire ;
• la liberté de redistribuer des copies, donc d’aider votre voisin (liberté 2) ;
• la liberté de distribuer aux autres des copies de vos versions modifiées (liberté 3) ; en faisant cela, vous donnez à toute la communauté une possibilité de profiter de vos changements ; l’accès au code source est une condition nécessaire.

Ces conditions fondamentales contribuent à développer une éthique du logiciel. Celui-ci n’est plus un outil passif et neutre mais véhicule des valeurs dont le but est de protéger la liberté de l’utilisateur, de l’impliquer dans le processus de création de ses outils et de permettre une circulation débridée du savoir, tant technique que culturel.
Le libre comme modèle social
De par sa cohérence et ses capacités d’application, la culture libre — en temps que courant de pensée — peut s’envisager comme un véritable modèle social. En effet, le libre défend des principes de liberté d’action et d’expression, de minimisation des systèmes hiérarchiques, d’implication directe et individuelle dans la vie sociale, de participation et de coopération nécessaires à un développement juste, égalitaire et responsable d’une société. Cette posture permet une implication politique et sociale à l’échelle de l’individu sur la base d’une démocratie directe. Le modèle de l’encyclopédie numérique libreWikipédia→3→ 3 : http://fr.wikipedia.org/ par exemple, basé sur le consensus et les discussions, pourrait aisément s’adapter à l’échelle d’une municipalité comme l’a spéculé Pierre-Carl Langlais dans son article Si ma commune s’appelait Wikipédia, tout le monde serait maire→4→ 4 : Article publié sur son blog Hôtel Wikipédia disponible à l’url http://blogs.rue89.nouvelobs.com/les-coulisses-de-wikipedia/2014/04/01/si-ma-commune-sappelait-wikipedia-tout-le-monde-serait-maire-232650 (consulté le 02/04/2014).. L’auteur explique qu’un grand nombre d’enjeux sociaux pourraient se régler sans l’intervention de hiérarchie étatique en transposant le fonctionnement de Wikipédia et ainsi créer une communauté souple, autonome et collaborative. En effet, la fiabilité et l’envergure de Wikipédia repose sur l’implication directe de tout ses contributeurs, utilisant le vote uniquement dans le but d’aider à la décision et de clarifier les consensus. D’autant que la communauté anglophone de Wikipédia compte 30 000 contributeurs mensuels, soit l’équivalent d’une commune de taille conséquente.
Libre ≠ open source
La différence entre libre (free software) et open source est souvent confuse. Ces différentes terminologies proviennent d’une scission qui s’est opérée au début des années 1990 par une divergence idéologique entre les acteurs du mouvement→5→ 5 : Nous reviendrons plus en détail sur cet événement dans la partie portant sur l’histoire du libre.. Alors que le libre englobe une dimension éthique et sociale, l’open source se limite à l’aspect pratique. En effet, le premier défend sans concession la liberté de l’utilisateur. Ainsi, ses protagonistes chargent l’utilisation de l’outil informatique d’une éthique construite sur le partage, l’égalité et la collaboration communautaire et insistent sur le fait qu’un outil n’est pas neutre et que son usage implique l’acceptation de valeurs. De ce fait, l’utilisation de logiciels propriétaires (privateurs comme le désigne Richard Stallman→6→ 6 : Richard Stallman est l’un des fondateurs du mouvement du logiciel libre. Pour plus d’informations, voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Stallman) est a proscrire car il restreint les libertés de l’utilisateur et le rend passif face à son outil. L’approche des partisans de l’open source est différente, leur volonté de maintenir un code source ouvert relève plus du pragmatisme et du désir d’efficacité que de la question éthique, ils considèrent donc les sources ouvertes et le travail collaboratif comme une méthodologie de travail performante. Cette attitude, que l’on peut considérer comme une version édulcorée de la philosophie du libre — disons même le libre sans sa philosophie — entraîne un certain nombre de dérives contre-productives. En effet, de par sa perte de notions politiques et sociales et son aspect plus permissif, l’open source a fait l’objet d’une récupération mercantile jusqu’à être exploité par de grandes entreprises de l’industrie informatique comme Google, profitant ainsi à la fois d’une image positive et progressiste et d’une main d’œuvre à moindre coût. Pourtant, l’exemple de Google sur cette attitude d’apparente ouverture est bien un leurre, en attestent par exemple leur navigateur Chrome ou leur système d’exploitation Android, tout deux construits sur des sources libres mais privatisés dans leur forme finale.
Ces divergences idéologiques ne sont toutefois pas catégoriques. Beaucoup d’acteurs du mouvement ne prennent pas directement position ou oscillent entre les deux mouvements. Beaucoup de projets sont menés tant par les partisans du free software que de ceux de l’open source. Ainsi, on parle de FLOSS (Free, Libre and Open Source Software) pour désigner de façon neutre un logiciel libre et/ou open source. Toutefois, comme le souligne Richard Stallman→7→ 7 : Richard Stallman, Pourquoi l’« open source » passe à coté du problème que soulève le logiciel libre, https://www.gnu.org/philosophy/open-source-misses-the-point.html (consulté le 9/04/2014)., l’utilisation de ce terme ne permet pas de défendre la notion de liberté à l’origine de ce mouvement. C’est pourquoi nous privilégieront ici l’expression libre pour parler de créations partagées, collaboratives, égalitaires et ouvertes.
Licences libres
Un bon nombre de licences permettent de rendre juridiquement fiable le libre. Basées sur le principe du Copyleft — remaniement (« hack ») du copyright visant à empécher la privatisation d’une création libre — ces licences doivent en principe respecter les quatre libertés (usage, étude, modification et redistribution). Dans la pratique, on peut distinguer trois types de licences :

• les licences propriétaires (ou privatrices) ;
• les licences libres copyleft, obligeants la redistribution de copies ou de modifications sous le même type de licence pour protéger les droits de l’utilisateur. Ainsi une œuvre libre doit rester libre ;
• les licences libres non copyleft, autorisant la réexploitation privatrice de l’œuvre et ne visant qu’à rendre le code source ouvert et accessible.

Ces deux dernières appartiennent à la catégorie des licences de libre diffusion.
Parmi les licences copyleft, la plus célèbre et la plus répandue est la GNU General Public License (GNU/GPL). Celle-ci indique qu’elle a pour but de protéger « votre
liberté de partager et de modifier toutes les versions d’un programme, afin d’assurer que ce programme demeure un logiciel libre pour tous ses utilisateurs »
.→8→ 8 : Free Software Foundation, « GNU General Public License », version 3, 29 juin 2007, http://www.gnu.org/licenses/gpl.html (consulté le 09/04/2014).

Dans la catégorie des licences orientées logiciel non copyleft, la Licence BSD →9→ 9 : Voir http://www.freebsd.org/copyright/license.html (consulté le 09/04/2014). est la plus répandue. C’est l’une des moins restrictives et permet de réutiliser tout ou une partie du logiciel sans limitation, qu’il soit intégré dans un logiciel libre ou propriétaire.
Il existe des licences plus particulièrement adaptées aux domaines de l’art et du design. La licence Art Libre (LAL) →10 → 10 : Voir http://artlibre.org/lal (consulté le 09/04/2014). , elle applique les principes du copyleft logiciel à la création artistique. Elle a été créée pour faciliter l’accès aux œuvres d’art et promulgue un usage créatif et actif de l’art. Le cas de la Licence Creative Commons →11→ 11 : Voir https://creativecommons.org/ (consulté le 09/04/2014). est particulier. En effet, celle-ci offre la possibilité de composer la licence de son œuvre en fonction de différents paramètres binaires permettant 6 combinaisons possibles. Ainsi cette licence peut être copyleft (CC-BY-SA), non copyleft (CC-Zero ou CC-BY) ou de libre diffusion (CC-BY-ND, CC-BY-NC, CC-BY-NC-SA ou CC-BY-NC-ND). La licence SIL Open Font License (SIL-OFL) →12→ 12 : Voir http://scripts.sil.org/cms/scripts/page.php?site_id=nrsi&id=OFL (consulté le 09/04/2014) est elle dédiée à la création typographique. On peut lire dans son préambule :

« Le but de la licence OFL est de stimuler le développement collaboratif de fontes à travers le monde, d’aider à la création de fontes dans les communautés académiques ou linguistiques, et de fournir un cadre libre et ouvert à travers lequel ces fontes peuvent être partagées et améliorées de manière collective.
Les fontes sous licence OFL peuvent être utilisées, étudiées, modifiées et redistribuées librement, tant qu’elles ne sont pas vendues par elles-même. Les fontes, ainsi que tous leurs dérivés, peuvent être fournies avec, incorporées, redistribuées et/ou vendues avec des logiciels quelconques, sous réserve que les appellations réservées ne soient pas utilisées dans les produits dérivés. La licence des fontes et de leurs produits dérivés ne peut cependant pas être modifiée. Cette obligation de conserver la licence OFL pour les fontes et leurs produits dérivés ne s’applique pas aux documents crées avec. »

Cette licence est par conséquent très utilisée dans le domaine de la typographie libre, en atteste son utilisation par les fonderies libres OSP-Foundry et Velvetyne par exemple→12→ 12 : Voir la page http://www.etienneozeray.fr/libre-blog/?p=363 pour une liste plus complète de fonderies libres. ou la quantité de fontes disponibles sur les plateformes de distribution comme Open Font Library.
Il est également possible de renoncer à la quasi-totalité de ses droits. La solution est alors de placer son œuvre dans le domaine public, ou d’opter pour la licence Creative-Common CC-0 ou encore la Do What The Fuck you want to Public License (WTFPL)→13→ 13 : Voir http://www.wtfpl.net/ (consulté le 10/04/2014).

→ 31/03/2014 — Écrits personnels : , Commenter

Pour un design graphique libre

Blog destiné à regrouper mes recherches pour mon mémoire portant sur les relations entre design graphique et culture libre.