Rendre lisible, l’accès au savoir(v1.1)
Un rôle primordial dans l’accès au savoir
De part ses compétences spécifiques, le designer graphique est un acteur conditionnant l’accès, la transmission et la conservation du savoir, mais aussi les échanges et la circulation des biens et des personnes. Il tient donc un rôle social crucial, celui d’interface entre un savoir abstrait et sa concrétisation formelle. Il rend lisible le monde.
Le support livre, depuis le passage d’un mode de transmission oral à un mode visuel avec les scribes ou les moines copistes, est devenue un des principaux outils de transmission des connaissances. La mise en forme de son contenu, qui relève du design graphique, n’a eu de cesse d’être étudiée et normée afin d’optimiser l’accès à ces connaissances. Il en va de même pour la typographie, en tant que matérialisation formelle du savoir.
Un autre exemple est celui de signalétique qui constitue un système sémantique (pictogramme, carte, tracé etc) permettant de faciliter les échanges et la circulation des biens et des personnes. Face à la complexité de nos sociétés occidentales, elle est indispensable à son bon fonctionnement.
Cette approche est éminemment politique, en ce sens que le designer graphique, par son positionnement, a « le pouvoir de transformation des regards, que toute action, toute production de signes, tout dispositif détiennent potentiellement. [...] Les enjeux auxquels doit ce confronter le designer graphique sont ceux portant sur les conditions de la construction de la parole et du regard des individus en interaction avec le collectif. Ou quand le politique et esthétique et l’esthétique politique. »→1→ 1 : Annick Lantenois, Le vertige du funambule, Éditions B42 & Cité du Design, 2010
L’héritage fonctionnaliste
Certains courants du design graphique ont cherché à optimiser la transmission du savoir, excluant toute notion de style ou d’ornement. Les origines de ces courants de pensée sont en partie attribuées au modernisme, au Bauhaus et à la notion de fonctionnalisme dictant que la forme doit être exclusivement l’expression de l’usage. « La forme suit la fonction. »→2→ 2 : Louis Sullivan, Form Follows Function, De la tour de bureaux artistiquement considérée, Éditions B2, 2011 (première édition 1896)
La nouvelle typographie poursuit le même objectif. Jan Tschichold, dans son livre Die neue Typographie (1928), entend se débarrasser de l’ancienne typographie décorative en l’opposant à la nouvelle typographie rationnelle, incarnée par les caractères Grotesk. Il y décrit des règles de composition typographique et de mise en page rationnelles et organisées dans le but de faciliter l’accès à l’information au lecteur.
Le graphisme suisse des années soixante a continué dans cette voie. Ses protagonistes rejetaient tout notion de style et prônaient un fonctionnalisme pur. Ainsi, le livre de Josef Müller-Brockmann, Grid Systems in Graphic Design (1961), pose les bases d’un design graphique extrêmement rationnel et technique par un système complexe de grilles de mise en page.
Le caractère Univers dessiné par Adrian Frutiger à la fin des années cinquante en est un autre exemple. Il a été conçu dans un but fonctionnel et avait une ambition universelle.
Ceci étant dit, il est difficile d’analyser ces courants de pensée sans en ressentir une tendance réductrice et fascisante, d’autant que la question de la neutralité tant recherchée par ses protagonistes peut apparaître chimérique. Ils représentent néanmoins un héritage indispensable qui a marqué le design graphique contemporain et ont largement contribué à la prise de conscience de la nécessité de contribuer à la lisibilité du monde. Comme nous le verrons pas la suite, cet aspect du design graphique est aisément associable avec le principe de libre circulation du savoir et de l’information de la culture libre.
→ 14/05/2014 — Écrits personnels : 3 - Le design graphique, particularités, 3.2 — Rendre lisible, particularités — Commenter