Pour un design graphique librev2.1

La version 2.1 du pdf du mémoire est maintenant disponible. La mise en page a été retravaillée, une bonne partie des erreurs contenues dans le texte ont été corrigées et les ressources rassemblées sur ce blog ont été ajoutées.

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→ 18/09/2014 — Écrits personnels : Commenter

Pour un design graphique librev1.0

Une première version du mémoire est achevée. Pour télécharger le pdf, c’est ici pour la version écran et pour la version imprimable. Il a été mis en page sur Scribus 1.4.2 et composé en Linux Libertine et FreeMono. L’ensemble des sources est disponible ici.
De par la nature de son sujet, je ne considère pas ce travail comme aboutit tant au niveau de la forme que du fond. Ainsi, de nouvelles versions devraient voir le jour par la suite. Je reste donc totalement ouvert à de nouvelles suggestions de modification ou d’amélioration.

→ 31/05/2014 — Écrits personnels : Commenter

Le pad

Ici → → → → →

→ 20/05/2014 — Écrits personnels : , Commenter

Colophon (v0) [bientôt]

[Bientôt]

→ 19/05/2014 — Écrits personnels : , Commenter

Pour conclure (v1)

« Le libre n’est plus seulement le logiciel libre. […] [Il] désigne aujourd’hui un vaste domaine dont les logiciels sont l’infrastructure, les licences libres le réglement et l’activisme libriste le gardien. »→1 → 1 : Sébastien Broca, Utopie du logiciel libre, Le Passager Clandestin, 2013, http://lepassagerclandestin.fr/fileadmin/assets/catalog/essais/Utopie_logiciel_libre__Broca__Le_passager_clandestin.pdf

Regarder en arrière
J’ai tenté par cette étude d’entrevoir les relations que peuvent entretenir culture libre et design graphique et d’émettre des pistes sur la mise en place d’une pratique du design graphique libre. Cette pratique se base sur un objectif triangulaire qui recherche une attitude créative envers la technique, une autonomie dans le travail et une participation à la libération de l’information. De cette triangulation peut découler ce qui constitue les trois finalités qui caractérisent le design graphique, à savoir rendre lisible, rendre visible et rendre possible, et ainsi les redéfinir.
Cette double triangulation se superpose donc pour constituer une pratique qui vise à associer libre et design graphique, autrement dit, un design graphique libre. Ainsi, il est impensable d’envisager chaque point séparément, ce n’est qu’en cherchant à adopter l’ensemble de ces préceptes que pourra se dégager une pratique libre complète et concrète.
Toutefois, il ne s’agit pas non plus de plonger aveuglément dans une technophilie absolue, de considérer les avancées technologique comme un bienfait salutaire, comme l’unique solution aux problèmes de ce monde. Il est important d’avoir conscience que la technique apporte bon nombre de dérives dommageables à la société. Une technophilie sans faille est finalement aussi absurde qu’une technophobie inconditionnelle. En effet, nier la place de la technique dans notre société revient à pratiquer un réactionnisme dénué de sens et déconnecté de la réalité. Finalement, il me semble que la posture logique à adopter est celle du technosceptisisme, c’est-à-dire rester critique face aux outils qui nous sont proposés dans le but d’en avoir une approche active et sensée. Cela suppose de prendre conscience que la technique est une réalité humaine, que ses dérives sont le fait de l’usage et de la direction qui lui sont donnés et que le fantastique potentiel social et créatif qu’elle peut nous offrir doit être sans cesse questionné.
Enfin, j’aimerais revenir sur la place centrale que l’outil informatique occupe dans ces recherches. Elle provient à la fois de mon intérêt personnel pour cet outil et d’une réalité sociale qui le place au cœur des problématiques contemporaines. Ceci étant dit, les principes évoqués dans ces écrits me semblent parfaitement applicables à d’autres types d’outils. Un sérigraphe, un graveur, un dessinateur, un peintre ou encore un designer textile peut très bien adopter ces idées, ceci par le fait que ces disciplines utilisent elles aussi des objets techniques et que le fondement d’une posture libre se situe dans le rapport actif et créatif que l’on a avec ceux-ci.
Regarder en avant
Il sera donc maintenant question de vérifier par l’application ce qui a été avancé. Loin de clore la réflexion, je vois dans ces recherche une manière d’établir des paradigmes destinés à ma propre pratique qui, à la manière d’un manifeste, figent sur le papier à un instant donné — celui d’un cycle d’études supérieures qui touche à sa fin — ce qui constitue actuellement pour moi un idéal à atteindre et le choix d’un chemin à suivre. Mais j’ai tout à fait conscience que j’ai à peine entamé la marche. Les idées proposées ici découlent de l’orientation qu’a pu prendre ma pratique depuis le début de mes études, mais il reste nécessaire de se questionner sur la manière de poursuivre cette démarche par la suite, au sortir de ces études. Néanmoins, il ne s’agit pas d’édulcorer le propos, les intentions avancées ici me semblent indispensables à une pratique épanouie et constructive, et représentent ce qui constitue selon moi une manière d’envisager une pratique éthique et responsable du design graphique. Et je reste et resterai convaincu de la nécessité de prendre conscience de sa pratique et qu’il est indispensable au bien-être de cette discipline d’adopter une posture critique et morale, quelle qu’en soit la teneur.
Regarder au loin
Il a été ici traité de l’application du libre au domaine du design graphique. Mais plus généralement, le libre représente une certaine idée du travail collaboratif et de la technique. Parce qu’il propose, par l’expérimentation, de réfléchir à de nouvelles méthodes et de nouveaux modèles, pourquoi ne pourrions-nous pas envisager une extension plus globale de ces idées ? Il pourrait être intéressant de se pencher plus en détail sur la viabilité et les conditions nécessaire à une application à l’échelle de notre société. Ne pourrions-nous pas nous risquer à entrevoir dans ce modèle la possibilité d’en finir avec un système oligarchique absurde et non représentation, un moyen de redonner la parole au citoyen et encourager son autonomie et sa créativité par la libération des objets techniques et du savoir ?
[…]

→ 19/05/2014 — Écrits personnels : Commenter

La libre circulation de l’information (v1.4)

S’il est une valeur inhérente à la culture libre, c’est bien la notion de libre circulation de l’information. En effet, les acteurs libristes défendent un accès débridé à la culture, au savoir et aux décisions politiques.
Cette question représente une condition nécessaire à une créativité technique et une autonomie réelle. Sans une propagation libérée des connaissances, indispensable à la compréhension du monde concret et abstrait, l’homme se retrouve dépossédé de son environnement matériel et intellectuel et se retrouve dans une situation d’assistanat technique et théorique dommageable à son épanouissement. Dès lors, le savoir devient matière à un enseignement monnayable plutôt qu’à un terreau de base accessible à tout un chacun. La connaissance devient alors « un bien, et comme tout bien mis sur le marché, il est soumis à la rareté. »→1→ 1 : Ivan Illich, La convivialité, Points, 2003 (initialement publié en 1973), p.90
→ 2 : László Moholy-Nagy, Peinture photographie film, Éditions Jacqueline Chambon, 1993, p.251

Le partage du savoir comme rôle du design graphique
Si « le grand problème qui se pose au design est qu’il doit servir la vie »→2, alors il relève de l’évidence que le design graphique doit contribuer au partage de l’information. Comme il a été abordé précédemment dans la partie rendre visible du chapitre sur les spécificités du design graphique, ce rôle social a été compris, théorisé et appliqué par certains de nos prédécesseurs et de nos contemporains qui ont vu dans le design graphique un outils pouvant participer à déchiffrer le monde du fait que ses praticiens sont aussi des techniciens qui détiennent des instruments pouvant participer à la libération du savoir.
En effet, l’information demande à être organisée. Les données pures sont indigestes et n’ont par conséquent aucune valeur intellectuelle. Ce n’est que par la transformation de « l’information en connaissance »→3 → 3 : Anthony Masure, Graphisme en numérique : entre certitudes et incertitudes, Graphisme en France 2014, http://www.graphismeenfrance.fr/sites/default/files/graphisme_en_france_ndeg20_-_2014.pdf (consulté le 22/05/14) qu’elles deviennent bénéfiques à la société.
En partant de ce principe, il semble être un prolongement logique du design graphique que d’œuvrer pour la libre diffusion des connaissance. À quoi bon rendre lisible le monde si ce n’est pour que le monde y ait accès. En tant que designer graphique, participer à la privatisation et donc à la marchandisation de l’information relève donc du non-sens, cela revient à nier le problème du design : « servir la vie ».
Une pratique graphique engagée
Nous avons vu précédemment→4 → 4 : Dans la partie Le design graphique, particularités que ce qui constitue — d’après moi — l’essence du design graphique peut être résumé par la triangulation rendre visible, rendre possible et rendre lisible. Chacun de ces paradigmes comporte des responsabilités non négligeables dont il est nécessaire que le designer graphique prenne conscience. De cette prise de conscience se dégagera une éthique de sa pratique.
En ce qui concerner la circulation de l’information, l’éthique qui en découle invoque ces trois points. Elle en appelle à se poser la question de ce que l’on doit rendre visible, de la manière de le rendre possible et de pourquoi le rendre lisible. Ce dernier aspect a été abordé dans le paragraphe précédent, rendre possible implique d’orienter ses recherches sur les structure et les moyens de mise en place de la libération du savoir. Quant au rendre visible, c’est s’interroger sur les projets dans lesquels il est nécessaire de s’impliquer. Cela se joue principalement sur le choix du commanditaire, mais demande aussi d’envisager l’auto-commission et de rechercher la collaboration.
Cette recherche d’éthique s’inscrit dans la continuité du design graphique engagé qui a pu être revendiqué au cours de son histoire. Il semble donc important de revenir brièvement sur cet héritage et d’en définir les nouveaux paradigmes.→5 → 5 : Pour une analyse plus approfondis de la question, voir Vivien Philizot, Design graphique et métamorphose du spectacle, Graphisme en France 2014, http://www.graphismeenfrance.fr/sites/default/files/graphisme_en_france_ndeg20_-_2014.pdf ou encore Jean-Baptiste Reynal, Le graphisme engagé est-il encore d’actualité, mémoire (ESAD), 2008, http://graphism.fr/jbraynal_memoire_textes.pdf (consultés le 22/05/14) Pour ce faire, prenons deux exemples notables de l’histoire du design graphique engagé : le manifeste First Things First de 1964 et le graphisme dit d’utilité publique qui officia dans les années quatre-vingt.
First things first est un manifeste écrit par Ken Garland initialement publié dans le Guardian en 1964 et co-signé par vingt-quatre designers. Il représente le début d’un questionnement à l’égard de cette profession au service d’une économie libérale par le biais de la publicité. L’auteur considère que le designer graphique « épuise son temps et son énergie à créer une demande pour des choses qui sont au mieux superflues. » en appliquant « leurs compétences et leur imagination à vendre des biscuits pour chiens, du café, des diamants, des détergents, du gel pour cheveux, des cigarettes, des cartes de crédits, des chaussures de tennis, des produits contre la cellulite, de la bière light et des camping-cars résistants » et en appelle à « un renversement des priorités en faveur de formes de communication plus utiles, plus durables et plus démocratiques ». La volonté des signataires de ce manifeste est de constituer une éthique de leur profession, de se soustraire à une logique économique contre-productive.→6 → 6 : La traduction française complète est disponible à l’adresse http://www.erba-valence.fr/dddaaa/1440/manifeste.html (consultés le 22/05/14) Ce texte a fait l’objet d’une réactualisation en 1999, mettant l’accent sur les évolutions du domaine et l’urgence d’une prise de conscience. Le designer graphique londonien Cole Peters, en 2014, a décidé de remettre à jour ce manifeste en tenant compte des enjeux numériques tels que le traitement des informations personnelles des usagers ou la propriété des données.→7 → 7 : Voir http://firstthingsfirst2014.org/ (consultés le 22/05/14)

Le First things first manifesto de 1964

Quant au graphisme d’utilité publique, cette notion a été initiée par le collectif Grapus fondé en 1969 par Pierre Bernard, François Miehe et Gérard Paris-Clavel. Dès le départ, ils revendiquèrent un graphisme qui vise « à réaliser des images sociales, culturelles et politiques ». Ils expliquent leurs intentions dans un texte rédigé collectivement avec d’autres designers graphiques indépendants en 1987 intitulé La création graphique en France se porte bien, pourvu qu’elle existe. Critiquant une domination du marketing et de la publicité en particulier sur la culture en dépit de la considération de problèmes sociaux, ils sont décidés à « créer des images de qualité pour tous, et décidés de les produire pour plus d’humanité et de justice, plus de solidarité. », et sont convaincus que « l’on ne peut rédiger et énoncer les messages d’intérêt public comme un argumentaire de vente
de produit de consommation. On ne peut s’adresser à une assemblée de citoyens, qu’il faut convaincre comme s’il s’agissait d’un quelconque groupe de consommateurs qu’on projette de gaver. »
Ils cherchent ainsi à revenir aux origines de la signification du mot communication, aux antipodes de la conception qu’en font les agences de communication, c’est-à-dire un moyen d’informer la vie sociale, de défendre, diffuser et enrichir la culture et favoriser la transmission des connaissances. Par ailleurs, Grapus est marqué par une esthétique du « fait main » associé à des images fortes dans le but de produire un graphisme humain et chaleureux. Pour finir, il est important de noter que le collectif ne manquait pas d’afficher leurs convictions politiques en collaborant avec le Parti Communiste Français. →8 → 8 : Pour en savoir plus au sujet de Grapus, voir Léo Favier, Comment, tu ne connais pas Grapus ?, Spector books, 2011

La première page du texte La création graphique en France se porte bien, pourvu qu’elle existe, 1987 et une affiche de Grapus pour le PCF, 1980

Ces deux exemples représentent des formes d’engagements liées à des époques spécifiques — l’essor de la publicité pour le premier, la marchandisation de la culture pour le second — qui, quoique malheureusement toujours d’actualité, demandent à être renouvelées. En effet, il est nécessaire de prendre en compte les nouveaux paradigmes sociaux, culturels et techniques. L’engagement d’aujourd’hui doit aussi se situer dans le monde numérique. Mais de la même manières que les structures numériques sont des extensions du monde matériel et non des dématérialisations de celui-ci, l’engagement numérique représente une extension de l’action physique. Il ne s’agit donc pas de rejeter des initiatives nécessaires et saluables comme celle de l’atelier Formes Vives, qui se situe dans la droite lignée de Grapus, mais force est de constater qu’il réside un manque dans les moyens mis en œuvre. « Si l’idée est de faire comme tout le monde, dans les années 70, la sérigraphie est effectivement plus abordable et plus artisanale que l’offset. Mais aujourd’hui, pour le commun des mortels, il est beaucoup plus facile de faire une affiche sur un ordinateur, même peu puissant, et de la sortir avec une imprimante, que de se faire un atelier de sérigraphie. »→9 → 9 : Xavier Klein, LIBÉRONS L’INFORMATIQUE, mémoire (ENSAAMA), 2013, http://xavorklein.free.fr/liberonsinformatique_xk.pdf (consulté le 22/05/14) Négliger ainsi le potentiel qu’offrent le web et l’outil informatique se rapproche de l’auto-sabotage et représente dans tout les cas une omission de la nécessiter de participer à rendre lisible l’augmentation du flux de l’information que représente le monde numérique, tout aussi nécessaire à la réflexion citoyenne qu’une affiche dans la rue.
Finalement, le prolongement de la sérigraphie dans l’action culturelle s’incarne peut-être dans la pratique de la programmation. Le code étant un outil de mise en forme et de propagation de l’information, au même titre que la sérigraphie et l’affiche, il est nécessaire de procéder à une expansion de ses outils et d’œuvrer à leur démocratisation afin de répondre à de nouvelles formes d’engagement.
En ce qui concerne l’importance de rendre lisible ce nouveau flux d’information que représente les réseaux numériques, le studio de design graphique néerlandais Metahaven, défenseur de la transparence de l’information, l’a bien compris. Suite à une loi proposant de mettre en ligne l’ensemble des informations publiques de l’état, le studio a décidé de proposer ses services pour « gérer cette surcharge d’informations et la rendre accessible à tous ».→10 → 10 : Metahaven, La visualisation de données devient son propre spectacle, entretien avec Marie Lechner, Libération, 2013, http://next.liberation.fr/design/2013/05/29/la-visualisation-de-donnees-devient-son-propre-spectacle_906707 (consulté le 23/05/14). C’est ainsi que Metahaven a élaboré le site https://nulpunt.nu, facilitant la consultation des documents et permettant annotations et partage. De la même manière, ils ont offert leurs services à Julian Assange, le porte-parole de Wikileaks (lanceur d’alerte mettant à disposition de tous des documents sensibles), dans le but d’améliorer la visibilité du service. Ils ont ainsi conçut une identité visuelle et une série de posters.


Capture d’écran du site https://nulpunt.nu élaboré par Metahaven ainsi qu’une proposition de logo et de poster pour Wikileaks

Un modèle communautaire
Cette engagement passe aussi par une reconsidération de la place et du rôle de son travail au sein même de la profession. Un design graphique libre cultive la transparence, le partage de ses sources et leur documentation→11 → 11 : À ce sujet, voir les recherches d’Antoine Gelgon, Documenter ses productions (titre provisoire), mémoire (ERBA-Valence), http://antoine-gelgon.fr/archi-trace/ (actuellement en cours de rédaction). Il entretiendra ainsi une position tant éducatrice que fonctionnaliste. À l’instar du logiciel libre, le design graphique libre ne peut exister sans la formation d’un réseau communautaire de partage qui constitue les fondations de cette démarche. Ainsi, conformément aux quatre libertés du logiciel libre, partager les sources de son travail et de ses outils offre la possibilité de l’exécuter, l’étudier, le modifier et de le redistribuer dans le but de permettre son appropriation, sa critique et son évolution. Le travail n’est donc plus figé, il acquière un nouveau potentiel de recherche et de transformation au-delà de son objectif premier de répondre à une commande déterminée et sert ainsi à la communauté. En effet, une fois le projet achevé, il n’est finalement de l’intérêt de personne de protéger avidement la confidentialité des sources de celui-ci. Bien entendu, cette posture demande un aller-retour entre ses protagonistes, celui qui partage ses données doit avoir la possibilité par la suite de ré-exploiter celles d’autrui.
D’autre part, cela encourage au développement d’une pratique contributive. La conception de l’auteur comme unique responsable d’un projet est ainsi remise en cause au profit d’une philosophie de l’entraide et du partage des compétences.
Ainsi se pose la question de « quelle forme dois-je donner à ces projets pour que ceux qui viendront après moi puissent les utiliser aux fins de leur propre progression et soient aussi peu gênés que possible dans celle-ci ? »→12 → 12 : Vilém Flusser, Petite philosophie du design, Circé, 2002, p.34 Cette interrogation se pose sur deux stades du projet, dans l’élaboration de celui-ci et dans la documentation de sa forme finie, le designer ne produisant plus que pour lui-même mais aussi dans le but de rendre disponible son travail. Des modèles existant peuvent d’ores et déjà être appropriés par le design graphique. C’est le cas du programme Git, initié par Linus Torvalds et incarné par exemple par la plateforme GitHub→13 → 13 : http://github.com/. Initialement imaginé pour les développeurs, Git permet d’héberger et de mettre à disposition un projet dans le but de faciliter la contribution et le travail collectif puis d’en archiver chaque version. Certains designers graphique se sont déjà appropriés ce réseau, particulièrement dans le domaine de la typographie libre et du design programmé. Le fait que la typographie soit le domaine du design graphique le plus actif dans le libre n’est pas étonnant. En effet, une police de caractère numérique a un statut juridique
de logiciel, pouvant ainsi s’inscrire dans la pratique du logiciel libre. De plus, la typographie relevant plus d’un outil contribuant à la réalisation d’un projet plutôt que d’une fin en soi, la mise à disposition et à contribution semble logique. Mais d’une manière plus générale, la présence de designers graphique sur cette plateforme traduit une nouvelle manière d’appréhender la discipline, basée sur la mutualisation et le partage de son travail. Ainsi, Raphaël Bastide utilise actuellement la plateforme GitHub comme un portfolio, y mettant à disposition l’ensemble de ses projets dont bon nombre de caractères typographiques libres et contributives comme l’Avara, la Terminal Grotesk ou encore la Whois Mono.



Une capture d’écran de la page GitHub de Raphaël Bastide et de l’Avara, un spécimen de la Terminal Grotesk et une capture de l’élaboration de la Whois Mono (captures prises le 23/05/14). L’ensemble de ces projets sont disponibles, téléchargeables et modifiables à partir de sa page GitHub : https://github.com/raphaelbastide.

D’autres designers participent à ce partage de données mais en ayant conçu leur propre plateforme. C’est le cas du collectif Open Source Publishing et du duo Lafkon. Le site web d’OSP est pensé à la manière d’un espace de dépôt de type Git. Ainsi, il est possible pour le commanditaire ou le visiteur de suivre et de participer à l’élaboration d’un projet, chaque mise à jour faisant l’objet d’une notification sur le change log (Journal des modifications) du projet en question. Les sources des travaux en cours et achevés sont archivés sur le site et téléchargeables. Chaque page de projet est conçu comme une succession de couches superposées, du descriptif du projet à ses sources, en passant pas un change log et une série d’images.


Une capture d’écran de la page d’accueil du site d’Osp, une autre de la page du projet pour le théâtre de La Balsamine, laissant apparaître la structure du répertoire de dépôt (about, log, snapshots et files) et une dernière capture du dossier Iceberg du projet, contenant les fichiers ajoutés au long de l’élaboration (captures prises le 23/05/14)

Enfin, Le studio Lafkon propose sur son site web The forkable repository→14 → 14 : http://www.forkable.eu/, répertoriant et mettant à disposition des scripts élaborés pour leurs projets ainsi que des images du résultat, une collection de dessins vectoriels et des outils divers, le tout sous licence libre copyleft.

Captures d’écran de la racine du Forkable repository et du sous-répertoire Tools (captures prises le 23/05/14)

Ce type d’initiative ouvre la voie vers ce nouveau paradigme que constitue un design graphique contributif, libre et communautaire, s’appropriant les valeurs et les méthodes du logiciel libre et témoignent d’un engagement en faveur de la libre circulation de l’information.

→ 19/05/2014 — Écrits personnels : , Commenter

L’autonomie dans le travail (v1.0)

La culture libre tire sa volonté d’autonomie dans ses origines liées aux contres-cultures libertaires des années soixante, reliées par la culture hacker des années soixante-dix. L’autonomie dans le travail est maintenant une réalité dans la plupart des projets libres et est inhérente à cette culture.
Le processus de déprolétarisation évoqué par Bernard Stiegler est envisageable uniquement par une autonomisation du design graphique. Désirer se réapproprier les moyens de production, avoir une attitude créative et active par l’outil technique, à l’image du hacker, profitent à l’accomplissement personnel en ce sens que cette posture induit un état de création plutôt que de consommation, une posture plus active que passive. Cet état est finalement proche de celui de l’artisan. Annick Lantenois parle d’« artisanat high-tech »→1→ 1 : Annick Lantenois, Ouvrir des chemins, Graphisme en France 2012, http://www.cnap.fr/sites/default/files/publication/123851_graphisme_en_france_2012.pdf (consulté le 13/05/14)
→ 2 : Du titre de l’ouvrage de Normand Baillargeon, paru aux éditions Agone en 2001
, pour désigner une posture qui ré-associe conception, production et utilisation.
Un modèle anarchiste pour une émancipation créative
Cette attitude peut être rapproché de la pensée anarchiste. Par anarchisme, j’entends le courant de pensée philosphico-politique recherchant « l’ordre moins le pouvoir »→2 et non l’usage courant et caricaturale que l’on fait de ce mot pour désigner le désordre.
Le point qui m’intéresse ici dans cette idéologie est la définition du travail que fait l’anarchisme. Pierre Joseph Proudhon, par exemple, considère que les moyens de production doivent être contrôlés par les travailleurs. Plus encore, les anarchistes en appellent à une reconsidération du travail basée sur l’accomplissement de soi plutôt que sur le devoir. Ainsi, les motivations viendrait d’avantage de la passion et de l’implication personnelle que de la nécessité alimentaire. C’est de cette manière que l’aliénation liée au travail fera place à l’émancipation.
Loin d’être individualiste, cette pensée propose plutôt de mettre en avant la question de la responsabilité de l’individu envers la société. Elle demande d’intégrer dans son travail des dimensions politiques et sociales. « Loin de créer une quelconque autorité, [c’est] le seul remède et le seul moyen grâce auquel chacun de nous sera habitué à prendre part activement et consciencieusement à un travail collectif, et cessera d’être un instrument passif dans les mains des dirigeants. »→3→ 3 : Errico Malatesta cité par Vernom Richards dans Errico Malatesta: Life and ideas, London Freedom Press, 1965 (p86), http://libcom.org/files/Malatesta%20-%20Life%20and%20Ideas.pdf (consulté le 20/05/14)
Le second point intéressant dans la pensée anarchiste est la volonté de supprimer toute forme de hiérarchie au profit d’un système horizontal où chacun jouit des mêmes possibilités de décision.
Envisager ainsi sa pratique du design graphique ne peut qu’engendrer épanouissement et production juste et sensée. Exalter sa pratique plutôt que d’en faire une profession lucrative, prendre conscience de son rôle social et politique, chercher l’horizontalité des rapports avec son commanditaire constituent selon moi les ingrédients d’une pratique autonome et désaliénante. Les relations horizontales avec son commanditaire exigent une entente mutuelle sur les valeurs de chacun qui excluent toute domination et incluent par la même occasion l’extension de ces rapports au destinataire de l’objet graphique. Le designer graphique n’est alors plus un prestataire de service qui apporte des réponses toutes faites à un client qui arrive avec des idées préconçues pour un public qui n’est pas intéressé. À l’inverse, il doit se construire un dialogue et une collaboration constructive entre ces trois protagonistes qui prend en compte les besoins et les spécificités de chacun, y compris du destinataire.
Fuir l’agence
Les préceptes avancés ci-dessus sont difficilement compatibles avec le travail en agence. En effet, l’agence, de par son échelle et sa structure, reproduit en son sein un système hiérarchique incompatible avec l’épanouissement de l’individu. De plus, elle le contraint à fournir un travail sur lequel son champ d’action et de décision et son autonomie sont limités et lui demande, en réaction à un système compétitif, de tirer un trait sur ses désirs et ses volontés. En agence, le designer graphique est réduit à un statut d’exécutant faisant office de rouage dans un mécanisme global qu’il ne maîtrise pas. Il est impossible d’avoir une pratique du design graphique libre dans ce type de structure. L’agence est par conséquent un facteur de prolétarisation et d’aliénation du designer graphique.
Pratiquer dans l’indépendance est une alternative qui, quoique plus précaire, permet d’éviter ces conséquences fâcheuses. Ainsi, le designer graphique est libre du choix de ses commanditaires et de son environnement de travail. Il est maître de sa production et entretient un rapport direct avec son interlocuteur. L’indépendance reste toutefois une structure qui n’est pas suffisamment ouverte car elle limite les champs de mobilité et d’appréhension de par le fait qu’elle se pratique seul.
Finalement la structure qui crée le plus d’autonomie et d’épanouissement est probablement l’atelier. Le collectif permet de croiser les pratiques et les compétences de chacun tout en conservant un fonctionnement horizontal. De cette manière, on obtient une structure tirant partis des capacités et singularités de l’individu tout en y intégrant la force et le potentiel du groupe. C’est ainsi que libre et design graphique peuvent se rejoindre pour mettre en place un design graphique libre.

→ 19/05/2014 — Écrits personnels : , Commenter

La créativité technique (v1.2)

Le mouvement du logiciel libre entretient bien évidemment une familiarité avec les objets technique de par les relations qu’il cultive avec ceux-ci. Mais ils font surtout preuve d’un certain esprit créatif et curieux envers la technique.

« L’acquisition de techniques et de compétences accroît le potentiel créatif de l’individu. Avec l’expérience, ses capacités intellectuelles s’affinent et son potentiel affectif, à son tour, s’en trouve renforcé. »→1→ 1 : László Moholy-Nagy, Peinture photographie film, Éditions Jacqueline Chambon, 1993, p.246

S’émanciper par l’outil
L’outil technique est au cœur de tout processus de création. En effet, si l’on part du postulat que « Tout est technique » alors « Il ne s’agit plus d’opposer homme et technique ».→2→ 2 : Université de Liège, Département de Philosophie, Bernard Stiegler : lieu, mémoire et technique, 2008 (disponible sur http://www.philosophie.ulg.ac.be/documents/PhiloCite2008/Stiegler.pdf) Il ne s’agit donc plus non plus d’opposer création et technique. Au contraire, il serait plus intéressant de prendre en compte leur association en considérant l’outil comme un facteur de créativité. Pour que cette créativité soit complètement émancipée, il convient donc de choisir un outil ouvert, avec lequel la forme sera produite avec le minimum de contraintes. Les outils libres répondent à ces conditions. En effet, l’accès à leur code source leur offre une adaptabilité potentiellement infinie. De la même manière, la programmation est aussi un outil libre et plus que d’offrir un potentiel d’adaptation, elle permet de concevoir ses outils en fonction de ses besoins.
Le choix d’un outil a un impacte sur la forme produite. Dessiner un cercle au compas ou à la main levée avec un pinceau épais produira deux formes distinctes qui fourniront des univers sémantiques distinct, au même titre que mettre en forme un livre en utilisant le logiciel Indesign ou avec un tableur de type Excel, comme a pu le faire le collectif Open Source Publishing avec le fanzine conçu pour La Balsamine en 2011.

Une capture d’écran de l’élaboration du fanzine de La Balsamine de la saison 2011/2012 mis en forme par le collectif Open Source Publishing avec l’aide du tableur LibreOffice Calc.

L’hégémonie d’Adobe dans le domaine du design graphique est en ce sens un problème. Elle provoque une tendance à l’uniformisation graphique de par le caractère standard et généralisé de ses outils. En effet, la suite Adobe est pensé dans le but de pouvoir produire des documents graphiques facilement et ceci avec le moins d’effort possible. Ils sont par essence moyens, adaptés à un usage ordinaire et normalisé, ceci afin de satisfaire tout type de demande de manière efficace et sans accroc, déterminé à l’avance. De plus, son usager se trouve dépossédé d’un réel savoir-faire de par le caractère fermé de l’outil qui rend impossible sa réappropriation, son adaptation. L’utilisateur de ces outils devient donc un usager prolétarisé, un ouvrier du design graphique. Anthony Masure, dans son article Adobe, le créatif au pouvoir en fait une analyse Marxiste. Il avance que dépossédé de son savoir-faire, le designer graphique est aliéné et soumis à la machine, enfermé dans une logique « de dépendance et de pensée dans un système prédéfini et difficile à déplacer ».→3→ 3 : Anthony Masure, Adobe, le créatif au pouvoir, initialement publié sur Strabic, 2011 (disponible sur http://www.quaeres.com/articles/adobe-creatif-pouvoir/, consulté le 19/05/14)
À ce type d’outil s’oppose les outils conviviaux décrits par Ivan Illich. Par outil convivial, il entend un outil « juste, […] générateur d’efficience sans dégrader l’autonomie personnelle, il ne suscite ni esclave ni maître, il élargie le rayon d’action personnel. L’homme a besoin d’un outil avec lequel travailler, non d’un outillage qui travaille à sa place ».→4→ 4 : Ivan Illich, La convivialité, Points, 2003 (initialement publié en 1973), p27 En effet, Ivan Illich considère que les outils contemporains ont opérés une emprise sur l’homme plutôt que l’inverse, qu’ils sont despotes plutôt que serviteurs. Il avance que l’homme doit contrôler l’outil afin de passer de la productivité à la convivialité, de sortir d’une société technocratique et industrielle basée sur « l’uniformisation, la dépendance, l’exploitation et l’impuissance »→5→ 5 : Ibid, p51, pour entrer dans une société centrée sur la créativité de l’homme au sein à la collectivité. Les outils libres entrent dans cette catégorie en ce sens qu’ils constituent « des outils maniables », c’est-à-dire qui implique l’énergie métabolique de celui qui l’utilise, plutôt que « manipulables » puisant son énergie à l’extérieur, réduisant son utilisateur à un « simple opérateur ».→6→ 6 : Ibid, p44 Ils sont générateurs d’autonomie et donc d’émancipation, de créativité et d’efficience tout en conservant une hiérarchie horizontale, en écho à la description d’Illich.
L’ordinateur atelier
L’outil informatique étant devenue le principal outil du designer graphique, considérer la créativité technique implique de ré-envisager son rapport à cet outillage. Pour ce faire, il convient de concevoir son ordinateur à la manière d’un atelier, d’un espace de fabrication. Il s’agit donc de s’écarter de la passivité technique au profit d’un usage actif et créatif qui implique directement cet outil dans le processus de fabrication.

« Placé au contact de milliers de systèmes, placé à leurs terminaisons, l’homme des villes sait se servir du téléphone et de la télévision mais ne sait pas comment ça marche. L’acquisition spontanée du savoir est confinée aux mécanismes d’ajustement à un confort massifié. L’homme des villes est de moins en moins à l’aise pour faire sa chose à lui. […] Les gens savent ce qu’on leur a appris, mais ils n’apprennent plus par eux-même. »→7→ 7 : Ibid, p90. Ce dernier point sera approfondis dans la partie suivante concernant l’autonomie dans le travail.

C’est précisément la question du confort qui pose ici problème. En effet, le confort est un facteur d’annihilation du désir. Il provoque une tendance à l’oisiveté qui engendre la passivité et évacue toute prise de risque pourtant nécessaire à une pratique complète, enrichissante et épanouie.

« La plus forte cause d’aliénation dans le monde contemporain réside dans cette méconnaissance de la machine, qui n’est pas un aliénation causée par la machine, mais par la non-connaissance de sa nature et de son essence, par son absence du monde des signification, et par son omission dans la table des valeurs et des concepts faisant partie de la culture. »→8→ 8 : Gilbert Simondon, Du mode d’existence des objets techniques, Éditions Aubier, 2012 (première parution en 1958), p10

Gilbert Simondon désire réconcilier technique et culture. Pour ce faire, il considère primordial que chaque individu soit à même de comprendre le fonctionnement des objets techniques qui l’entoure. Et ce, dans le but de placer l’homme dans un rapport d’invention avec l’outil technique, de placer le concepteur et l’utilisateur au même niveau d’implication.
La nécessité de comprendre son outil participe de la réappropriation créative de celui-ci. Dans une société où la technique est au cœur de nos vie, la consommer passivement comme nous propose de faire les entreprises Apple ou Adobe mène à la dépossession de l’outillage. En effet, la logique commerciale d’Apple se résume au fait que moins l’usager est impliqué dans le processus technique, plus il sera à même de consommer des produit éthiquement contestables car restreignant la liberté de l’utilisateur de par leur fermeture, tant dans leurs sources que dans leur politique de confidentialité
et leur manque d’interopérabilité. Apple constitue une véritable cage dorée dont l’hégémonie dans le milieu du design graphique pose problème car cette entreprise se situe à l’exacte opposé d’un outil libérateur, favorisant « l’uniformisation, la dépendance, l’exploitation et l’impuissance ». Ivan Illich parle de « monopole radical » pour décrire ces outils qui demande aux utilisateurs d’abandonner« leur capacité innée de faire ce qu’ils peuvent pour eux-même ou pour les autres, en échange de quelque chose de « mieux » que peut seulement produire pour eux un outil dominant. Le monopole radical reflète l’industrialisation des valeurs. À la réponse personnelle, il substitue l’objet standardisé ».→9→ 9 : Ivan Illich, La convivialité, Points, 2003 (initialement publié en 1973), p84
Un ordinateur atelier, par conséquent, est incompatible avec un outil (dé)limité et privateur. Il se doit d’être en perpétuel chantier, ouvert et convivial, et gêner le moins possible la marche de manœuvre de celui qui le manie. En effet, si l’outil est une extension du corps, alors utiliser un outil privateur c’est accepter un corps mutilé, c’est même s’auto-mutiler.L’envisager à l’inverse revient à imaginer un atelier……ah bah faut trouver une élément de comparaison mon petit bonhomme. (voir comparaision avec cuisine d’osp ici analogie atelier)
Une posture de Hacker
La créativité technique implique d’adopter une posture de hacker dans son travail. Par définition, le hacker entretient un rapport créatif à la technique. Le verbe « Hacker » peut se traduire par « bidouiller » ou « fouiner », cela sous-entend donc de chercher à comprendre comment fonctionne un système pour ensuite en faire un usage créatif, quitte à ce que celui-ci s’écarte de sa fonction première.
Le travail d’Open Source Publishing pour le théâtre de La Balsamine à Bruxelles en fourni un bon exemple. Depuis 2011 et pour chaque saison, OSP est en charge de la mise en place d’une identité éphémère, construite autour d’un programme, de posters, fanzines, site web, signalétique et flyers. En accord avec l’esprit de recherche et la volonté de prise de risque de La Balsamine, chaque saison est un pretexte à l’expérimentation et à la recherche de nouveau outils de mise en forme. Ainsi, outre l’utilisation des logiciels libres tels que Scribus ou Inkscape, la première saison (2011/2012) a été l’occasion de concevoir un fanzine avec un tableur de type Excel→10→ 10 : Voir illustration précédente ainsi que des flyers et un programme par le biais du langage ConTex, un dérivé de LaTex destiné à la publication scientifique et GraphViz, un logiciel initialement destiné à la production de graphiques. La saison 2012/2013 a elle été conçue entre autres à l’aide de GraphViz. Les saisons suivantes (2013-2014 et 2014-2015) ont été l’occasion de mettre en place un outil utilisant les langages de programmation Html/Css pour produire des documents imprimés. Les programmes consistent donc en de longues pages web découpées en pages, qui sont par la suite imprimées et reliées. Pour la dernière saison, la typographie a été dessiné avec l’aide d’Autotrace, un programme permettant d’automatiser la vectorisation.→11→ 11 : L’ensemble des fichiers sources des travaux cité ici sont disponible sur le site d’OSP : http://osp.constantvzw.org/

Une double-page du programme du théâtre de La Balsamine de 2011-2012 composé en ConTex et GraphViz et le code source ConTex de la quatrième de couverture


La couverture du programme de la saison 2013-2014 et une capture d’écran de la page Html correspondante

Une double-page du programme de la saison 2014-2015

L’ensemble de ce travail peut s’interpréter comme une mise en application de l’esprit hacker. Divers systèmes ont été mis en place afin de produire des formes graphiques par l’utilisation de procédés déviés de leur fonction initiale. Les outils ont été adaptés à la pratique et non l’inverse, chose qui n’aurait pas été envisageable avec l’utilisation d’outils fermés et propriétaires.— Réintroduire de l’artisanat dans le design graphique (voir GF p18)
En pratiquant cette posture de hacker, qui implique bidouillage et tâtonnement, il s’agit aussi de reconsidérer la place de l’erreur dans le processus de création. En effet, l’erreur fait partie intégrante de ce positionnement de par sa nature empirique. Rencontrer des erreurs permet finalement de tirer partis de l’imprévu et peut mener à des formes graphiques inattendues et convaincantes.
Cet état d’esprit demande aussi d’envisager le code comme un outil de création. En effet, à l’inverse du logiciel qui prend une forme finie qui inévitablement limite et oriente son usage, le code est potentiellement illimité dans sa capacité de création. Les langages de programmation sont nombreux→12→ 12 : Citons par exemples le Html/Css, le JavaScript, Php, Python, Processing, Arduino, Bash, LaTex, PureData… et chacun a ses spécificités mais tous permettent potentiellement de manipuler de l’image et du texte et donc de produire du design graphique. Lafkon, un studio de design graphique allemand, a mis en application ce principe. En témoigne le travail effectué pour le Libre Graphics Meeting de 2013 à Madrid. Les affiches sont générées à l’aide d’une suite de commandes via le terminal. Chaque commande agit comme un filtre venant influencer le résultat final.


Le processus des affiches tel que présenté par Lakfon et le résultat obtenus

Produire des images avec du texte demande de repenser la logique du processus. Le décalage entre l’écriture et la production de la forme court-circuite la maîtrise que l’on a de cette image. Loin d’être problématique, cette approche peut-être bénéfique en ce sens qu’elle crée de la surprise et exige de penser le processus de production par un aller-retour permanent entre cause et conséquence.
Cet esprit hacker n’est bien entendu pas limité au domaine de l’informatique. Tout objet technique est potentiellement hackable. En témoigne par exemple le projet Crisis Shop de Xavier Antin qui hack une machine à écrire dans le but de créer des formes graphiques.

Crisis Shop de Xavier Antin, 2009

 

→ 17/05/2014 — Écrits personnels : , Commenter

Rendre possible, un outil de recherche(v1.2)

La recherche dans le design graphique, tant formelle que théorique, tient un rôle fondamental. Elle permet d’avoir le recul nécessaire sur sa pratique et de défricher ce qui constituera les paradigmes de demain. Sans cette recherche, il est fort probable que le design graphique en viennent à produire des aberrations, notamment lorqu’il est question de pratiques basées sur des principes anciens appliqués à des supports récents. L’exemple de László Moholy-Nagy est éloquent :
« Des assiettes carrées seraient sans doute plus pratiques que des rondes car plus faciles à ranger. Mais les premières assiettes ayant été faites au tour, elles ont gardé ensuite leur forme ronde et ce malgré les nouvelles méthodes de coulage et de moulage qui permettent une totale liberté de forme »→1→ 1 : László Moholy-Nagy, Peinture photographie film, Éditions Jacqueline Chambon, 1993, p.256
Pour aller plus loin, le design graphique — en tant que pratique sociale — a la responsabilité de porter sa réflexion sur les modèles présents et future afin d’affirmer une production en adéquation avec les évolutions sociales, techniques, politiques et écologiques. C’est par la recherche et l’expérimentation que l’on peut rendre possible cette réflexion. Et comme nous rappelle Annick Lantenois sur la quatrième de couverture de son livre Le vertige du funambule (Co-éditions B42 & Cité du Design, 2010), il faut « que chaque acteur du design graphique accepte de sortir de son statut et de ses certitudes : s’aventurer dans l’inconnu ». C’est de cette manière que le designer graphique pourra revendiquer son statut d’auteur.
S’émanciper de la commande
C’est par l’émancipation de la commande que le designer graphique a la possibilité d’élaborer une pratique désintéressée et expérimentale. Il doit être libéré des contraintes économiques d’une part, et d’un regard vénal d’autre part. En effet, de la même manière que la recherche fondamentale dans le domaine des sciences, il est nécessaire que celle-ci soit libérée de toute entrave et que l’expérimentation soit produite sans aucun autre but qu’elle-même. C’est ainsi que seront envisageables des questionnements techniques, formels et théoriques essentiels à une bonne actualisation du design graphique. Enfin, cela est tout autant nécessaire à la capacité de produire des réponses justes à sensées face à des travaux commissionnés.
La recherche formelle
Pour une recherche formelle complète et débridée, le design graphique doit chercher à effacer les frontières, rentrer dans une logique de pluridisciplinarité. Il ne peut que lui être bénéfique d’y injecter des pratiques relevant de l’art, des sciences ou encore de l’ingénierie. C’est par la multiplicité des approches que l’expérimentation formelle prend toute sa force. Ceci est d’autant plus important qu’en retour, le design graphique est un domaine qui par définition est associé à d’autres champs.
Un autre point exprimant l’importance de la recherche formelle, c’est la question de la standardisation. En effet, un design graphique qui exclut la recherche devient un design graphique prolétaire, qui a perdu son savoir et son savoir-faire comme l’exprime Bernard Stiegler, reproduisant machinalement des paradigmes graphiques déjà bien trop ancrés par le biais du marketing et de la publicité. Et comme il a été vu précédemment, la standardisation graphique contribue à un appauvrissement culturel tant pour la discipline que pour ses récepteurs.
Expérimentation formelle et technique sont intrinsèquement liées. En effet, de nouveaux outils sont synonymes de nouvelles possibilités.
« De nouvelles découvertes, de nouvelles théories et de nouvelles méthodes de recherche scientifique ont produit de nouvelles applications technologiques dans tout les domaines de la production. L’électricité, le moteur à essence et le moteur diesel, l’avion, le cinéma, la photographie en couleur, la radio, la métallurgie, les nouveaux alliages, les plastiques, les matériaux stratifiés, toutes ces inventions allaient entraîner aussi, inévitablement, des modifications de design. »→2→ 2 : Ibid., p.253
Ainsi, ces « modifications du design » dont parle László Moholy-Nagy, pour être justes et responsables, doivent être au préalable expérimentées et les techniques en question interrogées, manipulées, bidouillées. L’arrivée de l’ordinateur au cours des années quatre-vingt, l’accès facilité à Internet et au web début quatre-vingt-dix ou la démocratisation des outils de programmation orientés art et design comme Processing au début des années 2000, constituent des exemples plus récents. Chacun a été — et est toujours — le terrain d’expérimentations pour de nombreux designers graphique désirant « s’aventurer dans l’inconnu ». →3→ 3 : Pour des exemples, se reporter à la partie 4.1 – La créativité technique
La recherche théorique
Les questions de pluridisciplinarité, de standardisation et d’interrogation sur la technique sont tout aussi importante dans la recherche théorique qu’elle le sont pour l’expérimentation formelle. Avoir un recul critique sur sa discipline engendre une pratique épanouie, responsable et réelle.
Pour ce faire, il doit être mis à la disposition du designer graphique des outils critiques multiples qui serviront de matériaux de base à la formation de sa propre vision de sa discipline. L’outil critique n’est que trop peu présent dans le design graphique, particulièrement dans le domaine francophone, malgré des initiatives remarquables comme celles de la maison d’édition B42, la revue Azimut ou la revue Graphisme en France. Mais c’est par la multiplicité et la contradiction des points de vue qu’il est possible d’avoir un aperçu général. Il est donc nécessaire que la critique du design graphique soit favorisée et sans cesse remise en question, ceci afin de créer des dissensus qui eux seuls sont à même de forger un esprit critique chez le designer graphique.→4→ 4 : Pour une liste non exhaustive de recherches critiques sur le design, se reporter à la bibliographie.
Bien sûr et heureusement, la recherche formelle et théorique s’entremêlent, l’un n’ayant pas de sens sans l’autre. Ou comme l’exprime Anthony Masure dans la Préface du recueil Secousses (Campus La Fonderie de l’Image, 2013) : « Cessons d’opposer la pratique et la théorie ; la théorie se pratique et une pratique non pensée ne conduit qu’à une « acceptation des limites [déjà] connues » ».
Ajoutons que cette posture de rendre possible est particulièrement applicable et nécessaire dans le domaine de l’éducation. En effet, l’école est le terrain indéal pour développer chez l’étudiant une attitude critique et expérimentale.
Nous verrons par la suite que la culture libre, de par sa forme ouverte et sa capacité d’appropriation, offre un formidable potentiel de recherche, tant formelle, que technique ou critique.

→ 17/05/2014 — Écrits personnels : , , Commenter

Rendre visible, un outil du capitalisme ?(v1.4)

Le besoin de visibilité, que ce soit pour fournir des biens ou des services, est légitime. Toute chose est à priori produite dans le but d’être par la suite proposée au reste du monde, quelle qu’en soit l’échelle, autant dans un cadre restreint à un ou deux individus que pour l’ensemble de l’humanité. Toute production, tant matérielles qu’immatérielle, tant concrète qu’abstraite, n’existe que pour combler une quelconque nécessité, dans le sens le plus vaste que l’on puisse donner à ce mot. Par conséquent, il est nécessaire qu’elle soit visible pour les autres, qu’ils aient conscience de son existence.
Néanmoins, dans les conditions économiques et sociales actuelles, il est impératif de prendre un recul critique sur cette notion de rendre visible. En effet, depuis que le libéralisme économique a opéré son emprise sur les échanges monétaires puis sociaux, la nécessité de rendre visible a pris un tout autre sens. Elle est devenue un besoin purement mercantile, associé à une pratique promotionnelle et aguicheuse, trompeuse et agressive.
La publicité
La publicité cherche à attirer l’attention du consommateur dans le but de vendre, sans distinction qualitative de l’objet de cette vente, en créant artificiellement un univers autour de l’objet en question, dont le design et en partie responsable. Pour ce faire, elle utilise des techniques de l’ordre de la manipulation, n’hésitant pas à susciter un imaginaire mensonger plutôt que de simplement vanter les mérites qualitatifs réels du produit. Par la séduction, elle cherche à provoquer le désir du consommateur en lui promettant la satisfaction que le produit qu’elle cherche à lui vendre le sublimera, améliora l’image de lui-même. Dès lors, les firmes cherchent à « inventer continuellement des besoins et des désirs nouveaux, à conférer aux marchandises une valeur symbolique, sociale, érotique, à diffuser une « culture de la consommation » qui mise sur l’individualisation, la singularisation, la rivalité, la jalousie, bref sur ce que j’ai appelé ailleurs la « socialisation antisociale ». »→1→ 1 : André Gorz, Le travail dans la sortie du capitalisme, Ecorev, 2008, http://ecorev.org/spip.php?article641 (consulté le 16/05/14)
De ce fait, la publicité, en détournant la satisfaction et le plaisir, et en produisant des discours basés sur des clichés et des pulsions primaires, simplistes et standardisés qui éliminent toute forme de singularité, représente un danger d’annihilation de toute autre forme de désir et appauvrit la culture et la réflexion. Ou, comme l’exprime Bernard Stiegler dans une interview donnée à la revue Azimuts #24 en 2004, elle absorbe l’energie libidinale pour l’inverstir dans la consommation. Elle est par conséquent contre-productive socialement et intellectuellement, une perte d’énergie qui fait perdre de vue de réels objectifs sociaux. Plus encore, elle est un « opium du peuple », ou comme le rappelle Jean-Claude Michéa, le « dressage capitaliste des humains resterait un vain mot » sans « cette omniprésente propagande publicitaire »→2→ 2 : Jean-Claude Michéa, L’Empire du moindre mal : essai sur la civilisation libérale, Climats, 2007, p. 194.

« le design d’un produit n’est donc aujourd’hui trop souvent qu’un habillage simplement destiné à accélérer la vente. Sa caractéristique essentielle est d’être différent, même si la fonction du produit reste inchangée. La tâche du designer consiste à donner un style ou une ligne à un produit déjà connu et à changer ce design aussi souvent que possible, cela pour le plus grand bénéfice du vendeur. »→3→ 3 : László Moholy-Nagy, Peinture photographie film, Éditions Jacqueline Chambon, 1993, p. 245

Cette situation est en partie imputable au design graphique. En effet, celui-ci est ici un instrument du libéralisme économique contribuant à une saturation visuelle pauvre en sens et en plasticité. De ce point de vue, le design graphique est responsable d’un appauvrissement de la culture et du savoir-faire à l’égard de sa discipline et de ses récepteurs.
L’identité visuelle
De par la capacité d’absorption du libéralisme, le problème ne se limite plus à la vente de produits de consommation. Autrement dit, le libéralisme a la capacité de transformer quoi que ce soit en produit de consommation. Ainsi, la logique mercantile qui a transformé le rendre visible en rendre achetable touche aussi des domaines qui se sont pas sensé répondre à cette logique. Sous couvert de communication, en fait de marketing, les institutions culturelles et les milieux politiques se sont dotés de ces même outils, transformant leur fonction informative, de transmission culturelle et d’organisation sociale en logique entrepreneuriale, en image de marque. Le spectateur, le citoyen, l’utilisateur, l’étudiant, l’artiste, ne sont plus que de potentiels consommateurs, des moyens d’augmenter le capital culturel, économique, intellectuel et symbolique. De plus, de par le quasi-monopole du système capitaliste de l’offre, celle-ci est orienté en fonction de sa rentabilité. De cette manière, le capitalisme façonne nos goûts et nos désirs, « prolétarisant »→4→ 4 : Dans le sens de la perte de savoir et de savoir-faire décrit par Bernard Stiegler ainsi le consommateur.
La question de l’identité visuelle est par conséquent à considérer avec précaution. En effet, produire l’identité visuelle d’une entité dont la vocation se trouve en dehors d’une logique mercantile, ou tout du moins n’en faisant pas son objectif principal, c’est prendre le risque de lui donner une position qui ne lui correspond pas, de l’insérer dans un paradigme qui n’est pas le sien et ainsi dévaloriser son image. La mise en place d’identité visuelle se doit donc d’être toujours établie en ayant conscience de ce risque, et ce pour écarter la fonction du design graphique qui consiste à rendre visible d’une logique consumériste.

« Il ne s’agit pas de tendre à rendre visible et morale la politique mais de résister au commerce compétitif, matérialiste, abrutissant et chaotique des visibilités.
Les mouvements sociaux et politiques ne peuvent pas user des logiques du marketing pour communiquer.→5→ 5 : Formes Vives, Hypothèses, 2009, http://www.formes-vives.org/atelier/?pages/Hypoth%C3%A8ses-de-travail (consulté le 23/05/14)


→ 14/05/2014 — Écrits personnels : , , Commenter

Rendre lisible, l’accès au savoir(v1.1)

Un rôle primordial dans l’accès au savoir
De part ses compétences spécifiques, le designer graphique est un acteur conditionnant l’accès, la transmission et la conservation du savoir, mais aussi les échanges et la circulation des biens et des personnes. Il tient donc un rôle social crucial, celui d’interface entre un savoir abstrait et sa concrétisation formelle. Il rend lisible le monde.
Le support livre, depuis le passage d’un mode de transmission oral à un mode visuel avec les scribes ou les moines copistes, est devenue un des principaux outils de transmission des connaissances. La mise en forme de son contenu, qui relève du design graphique, n’a eu de cesse d’être étudiée et normée afin d’optimiser l’accès à ces connaissances. Il en va de même pour la typographie, en tant que matérialisation formelle du savoir.
Un autre exemple est celui de signalétique qui constitue un système sémantique (pictogramme, carte, tracé etc) permettant de faciliter les échanges et la circulation des biens et des personnes. Face à la complexité de nos sociétés occidentales, elle est indispensable à son bon fonctionnement.
Cette approche est éminemment politique, en ce sens que le designer graphique, par son positionnement, a « le pouvoir de transformation des regards, que toute action, toute production de signes, tout dispositif détiennent potentiellement. […] Les enjeux auxquels doit ce confronter le designer graphique sont ceux portant sur les conditions de la construction de la parole et du regard des individus en interaction avec le collectif. Ou quand le politique et esthétique et l’esthétique politique. »→1→ 1 : Annick Lantenois, Le vertige du funambule, Éditions B42 & Cité du Design, 2010
L’héritage fonctionnaliste
Certains courants du design graphique ont cherché à optimiser la transmission du savoir, excluant toute notion de style ou d’ornement. Les origines de ces courants de pensée sont en partie attribuées au modernisme, au Bauhaus et à la notion de fonctionnalisme dictant que la forme doit être exclusivement l’expression de l’usage. « La forme suit la fonction. »→2→ 2 : Louis Sullivan, Form Follows Function, De la tour de bureaux artistiquement considérée, Éditions B2, 2011 (première édition 1896)
La nouvelle typographie poursuit le même objectif. Jan Tschichold, dans son livre Die neue Typographie (1928), entend se débarrasser de l’ancienne typographie décorative en l’opposant à la nouvelle typographie rationnelle, incarnée par les caractères Grotesk. Il y décrit des règles de composition typographique et de mise en page rationnelles et organisées dans le but de faciliter l’accès à l’information au lecteur.

Die neue Typographie, Jan Tschichold, 1928

Le graphisme suisse des années soixante a continué dans cette voie. Ses protagonistes rejetaient tout notion de style et prônaient un fonctionnalisme pur. Ainsi, le livre de Josef Müller-Brockmann, Grid Systems in Graphic Design (1961), pose les bases d’un design graphique extrêmement rationnel et technique par un système complexe de grilles de mise en page.

Extrait de Grid Systems in Graphic Design, Josef Müller-Brockmann, 1961

Le caractère Univers dessiné par Adrian Frutiger à la fin des années cinquante en est un autre exemple. Il a été conçu dans un but fonctionnel et avait une ambition universelle.

L’Univers d’Adrian Frutiger

Ceci étant dit, il est difficile d’analyser ces courants de pensée sans en ressentir une tendance réductrice et fascisante, d’autant que la question de la neutralité tant recherchée par ses protagonistes peut apparaître chimérique. Ils représentent néanmoins un héritage indispensable qui a marqué le design graphique contemporain et ont largement contribué à la prise de conscience de la nécessité de contribuer à la lisibilité du monde. Comme nous le verrons pas la suite, cet aspect du design graphique est aisément associable avec le principe de libre circulation du savoir et de l’information de la culture libre.

→ 14/05/2014 — Écrits personnels : , , Commenter

Bibliographie (v1)

Livres & textes
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Christophe André, Vers un design libre, Strabic, 2011, http://strabic.fr/vers_un_design_libre (consulté le 14/05/14)
José Béreaud, Fichage & tracabilité, mémoire (ENSAAMA), 2013
John Berger, Voir le voir, Éditions B42, 2014 (première édition en 1972)
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Ivan Illich, La convivialité, Éditions du Seuil, 2012 (première édition en 1973)
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Le quoi ? Une définition générale(v1.1)

Définir le design graphique est une tâche ardue du fait qu’il existe autant de définitions que de pratiques. Basiquement, considérons que le design graphique est l’art d’agencer textes et/ou images dans l’objectif de mettre en forme un document pour sa diffusion. Plus précisément, on pourrait en faire cette définition :

« Le design graphique est l’un des outils dont les sociétés occidentales se dotent, dès la fin du XIXe siècle pour traiter, visuellement, les informations, les savoirs et les fictions : il est l’un des instruments de l’organisation des conditions du lisible et du visible, des flux des êtres, des biens matériels et immatériels. Traiter visuellement les informations, les savoir et les fictions, c’est donc concevoir graphiquement leur organisation, leur hiérarchie, c’est concevoir une syntaxe crypto-visuelle dont les partis pris graphiques orientent les regards, les lectures. Ces informations, ces savoirs et ces fictions sont les matériaux d’une commande. Et le designer graphique est le traducteur ou l’interprète qui conçoit soit la syntaxe d’un objet (affiche, plaquette, etc), soit un dispositif global où se déploiera la réponse graphique à la demande initiale (identification, signalisation, etc). »→1→ 1 : Annick Lantenois, Le vertige du funambule, Éditions B42, 2010

Cette définition a le mérite d’être relativement englobante. Ce qui va suivre dans cette partie le sera probablement beaucoup moins, l’objectif n’étant justement pas de produire une définition académique du design graphique mais plutôt d’en redéfinir une pratique personnelle et par conséquent subjective.
Trois pratiques
Le design graphique rassemble un ensemble de pratiques variées, de la typographie à la publicité. Pour la suite de mon propos, ce domaine sera divisé en trois grandes catégories de pratiques :

• le design graphique qui rend lisible, celui qui met en forme l’information et le savoir
• le design graphique qui rend visible, pour grande partie à caractère promotionnel, son but est de profiter au capital matériel et immatériel
• le design graphique qui rend possible, celui qui recherche, tendant à se détacher de la réponse stricte à une commande au profit d’investigations formelles et/ou théoriques.

Ces trois catégories constituent une triangulation dans lesquels peuvent venir s’inscrire les différentes pratiques du design graphique, s’insérant de manière plus ou moins déterminée dans l’un ou plusieurs de ces champs.

→ 13/05/2014 — Écrits personnels : , , Commenter

Plan (v.4)

1 – Introduction
2 – Généralités du libre

2.1 – Présentation de la culture libre

Les quatre libertés
Le libre comme modèle social
Une implication politique
Libre ≠ open source
Licenses libres

2.2 – Champs d’application

Le logiciel
Le libre savoir
L’art & le design

2.3 – Une brève histoire du libre

L’utopie numérique des années soixante-dix
L’esprit hacker
Richard Stallman
Linus Toward : l’open source

3 – Définir le design graphique

3.1 – Une définition générale

Trois pratiques

3.2 – Rendre lisible, l’accès au savoir

Un rôle primordial dans l’accès au savoir
L’héritage fonctionnaliste

3.3 – Rendre visible, un outil du capitalisme ?

La publicité
L’identité visuelle

3.4 – Rendre possible, un outil de recherche

S’émanciper de la commande
La recherche formelle
La recherche théorique

4 – Pour un design graphique libre

4.1 – Créativité technique

S’émanciper par l’outil
L’ordinateur atelier
Une posture de Hacker

4.2 – Autonomie dans le travail

Un modèle anarchiste pour une émancipation créative
Fuir l’agence

4.3 – Libre circulation de l’information

Le partage du savoir comme rôle du design graphique
Une pratique graphique engagée
Un modèle communautaire

5 – Pour conclure
6 – Annexes


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Une brève histoire du libre (v1.2)

Note : Le but de ce travail n’étant pas de faire une histoire précise de cette culture — d’autres ayant déjà accompli cette tâche auparavant→1→ 1 : Pour en savoir plus sur cette question, voir par exemple Utopie du logiciel libre de Sebastien Broca (Le Passager Clandestin, 2013), Richard Stallman et la révolution du logiciel libre de Richard M. Stallman, Sam Williams & Christophe Masutti (Éditions Eyrolles, 2010), Libres enfants du savoir numérique, une anthologie du «Libre» d’Olivier Blondeau (Édition de l’Éclat, 2000). — cette partie restera concise en comparaison de l’ampleur et de l’importance de cette histoire et ne s’appliquera qu’à cerner les notions nécessaires à la bonne compréhension de la suite de mes recherches.

Des communautés hippies aux communautés virtuelles
La culture libre, tout comme l’informatique, puise ses origines dans l’évolution des communautés hippies au début des années soixante-dix. En effet, les valeurs de cette contre-culture et les théories cybernétiques de Norbert Wiener ou Marshall McLuhan ont bon nombre de points en commun. La quête spirituelle hippie qui cherche à élargir le champ de la conscience et à inventer de nouvelles manières de se lier aux autres — à travers les drogues psychédéliques par exemple — a trouvé une résonance dans les théories de village global→2→ 2 : Voir Marshall McLuhan, Understanding Media: The extensions of man (1964).
C’est par exemple avec l’emblématique Whole Earth Catalog de Steward Brand que commencent à se rencontrer contre-cultures et technologies numériques.

The last Whole Earth Catalog, 1971

En effet, véritable préfiguration de ce que deviendra l’internet, le Whole Earth Catalog propose un ensemble de références théoriques, techniques et pratiques destiné à un mode de vie créatif et autosuffisant. Chaque nouvelle édition du catalogue était augmenté de commentaires, suggestions et remarques de ses lecteurs. Vêtements, livres, graines y étaient catalogués, mais aussi des références scientifiques et technologiques. Steward Brand considérait l’outil informatique comme un « nouveau LSD » dans le sens qu’il offrait autant de possibilités d’émancipation et d’ouverture de la conscience que les drogues psychédéliques. Brand a par la suite prolongé son projet avec le WELL, un espace de discussion numérique autour des contenus du Whole Earth Catalog, transposant ainsi l’esprit communautaire hippie vers des communautés numériques, fondées sur des principes d’ouverture, de partage, d’autonomie, de génération de liens sociaux et de production collective de biens communs.
L’esprit hacker
Le hacker, bien loin du cliché de l’informaticien malintentionné destructeur de système informatique (appelé cracker), est né dans à la fin des années cinquante au AI Lab du Massachusetts Institute of Technology (ou MIT) et désigne une personne qui a une approche créative de la technologie et qui prend plaisir à la bidouiller. On peut ainsi résumer l’éthique hacker :

« L’accès aux ordinateurs — et toute chose qui vous enseigne un tant soit peu la façon dont le monde fonctionne — devrait être illimité et total. Remettez-vous en toujours à la nécessité d’y mettre le nez !
L’information doit être libre…
Méfiez-vous de l’autorité — prônez la décentralisation…
Les hackers devraient être évalués au regard de leurs actions, et non pas en fonction de critères factices comme les diplômes, l’âge, l’origine ethnique ou la situation sociale…
Vous pouvez générer de l’art et de la beauté avec un ordinateur…
Les ordinateurs changeront votre vie pour le meilleurs. »→3→ 3 : Steven Levy, Hackers: Heroes of the Computer Revolution (1984), p.104

À cette époque et dans ce milieu, le partage de l’information était chose courante et le moindre programme créé était immédiatement partagé au reste de la communauté qui s’empressait de s’en emparer pour le modifier ou l’améliorer. Ils furent donc les premiers à soutenir que le code source d’un logiciel se devait d’être distribué sans restriction.
C’est sur ces bases qu’on été construits l’informatique, l’internet et la culture libre. Ainsi, beaucoup de géants actuels de l’informatique viennent de ce milieu, on y trouvait par exemple Steve Wozniak, co-fondateur d’Apple. Mais c’est aussi et surtout de cette communauté que sont apparus les figures importantes du libre et de l’open-source comme Linus Torvard, Eric Raymond ou Richard Stallman.
Richard Stallman
S’il est une figure indissociable du logiciel libre, c’est bien celle de Richard Stallman (connu aussi sous les initiales rms). D’abord ingénieur au MIT ou il développe l’éditeur de texte Emacs, il quitte son poste en 1984 suite à l’essoufflement de la communauté de hackers de l’université pour se consacrer au développement du système d’exploitation libre GNU, posant ainsi les bases de ce que deviendront les systèmes d’exploitation GNU/Linux.

Richard Stallman

Militant libriste radical, il fonde la Free Software Foundation en 1985, célèbre association qui lutte pour un informatique libre. Il est aussi l’auteur de la licence GNU/GPL et l’inventeur du principe du Copyleft. Une anecdote célébrissime dans le monde du libre est celle de l’imprimante Xerox :

« Mais, une fois, j’ai vu ce que c’est d’utiliser un programme dont on ne connaît pas le code source. Ça s’est passé quand Xerox a donné au MIT une imprimante laser [..] C’était vraiment bien, mais pas tout à fait fiable. Parfois, plusieurs fois par heure, elle se bloquait. Donc, elle était un peu difficile à utiliser.
Notre ancienne imprimante avait le même problème, mais l’ancienne était contrôlée par du logiciel libre, donc nous possédions le code source pour ce programme, et nous avons pu ajouter des fonctionnalités spéciales pour nous débrouiller avec ces problèmes.[…]
Avec la nouvelle imprimante, nous n’avons pas pu le faire car Xerox ne nous a pas donné le code source du programme, nous ne pouvions pas faire de changements dans le programme. Nous étions capables d’écrire ces fonctions mais nous étions bloqués volontairement par Xerox, nous étions prisonniers d’un logiciel qui a mal fonctionné pendant plusieurs années. […] C’était dégueulasse. Un jour, j’ai entendu dire qu’un chercheur de l’université de Carnegie Mellon avait une copie du code source de ce programme. Plus tard je suis allé à Pittsburg, à son bureau, lui demander :
« Voulez-vous me donner une copie de ce programme ? »
Il m’a répondu :
« Non j’ai promis de ne pas vous le donner. »
La parole m’a manqué, je suis sorti sans dire un mot. Parce que je ne savais pas répondre à une telle action honteuse. C’était dommage pour le labo, car nous n’avons jamais reçu le code source de ce programme, nous ne pouvions jamais corriger les problèmes, et l’imprimante a mal fonctionné pendant toutes les années où nous l’avons utilisée. Pour moi, c’était une bonne chose, d’une manière paradoxale, parce que ce chercheur n’avait pas fait cela seulement à moi, il n’a pas refusé la coopération seulement à moi, parce qu’il l’a fait à vous aussi. »→4→ 4 : Richard Stallman, « Conférence donnée à l’Université Paris 8 à l’invitation de l’April », 10 novembre 1998 (http://www.linux-france.org/article/these/conf/stallman_199811.html)

Cet épisode intervient à une époque où se constitue une économie du logiciel et apparaît les premières clauses de confidentialité et le secret commercial dans l’écriture de logiciel. Beaucoup des hackers du MIT changèrent
ainsi leur fusil d’épaule, prenant conscience que leurs compétences avaient la possibilité de les rendre riches. Le partage du code source perdait donc des adeptes, et Richard Stallman était devenu « le dernier survivant d’une culture morte »→5→ 5 : Cité par Sébastien Broca, Utopie du logiciel libre, Le Passager Clandestin, 2013. C’est après cela qu’il a fondé la Free Software Foundation et qu’il a commencé à consacrer la majorité de son temps à la défense et la promotion du logiciel libre.
Linus Torvalds et l’open source
Linus Torvalds est le programmeur à l’origine du noyau du système d’exploitation Linux en 1991. Noyau qui était la pièce manquante du projet GNU. Mais Linus Torvalds est aussi le symbole de la division qui s’est opéré dans le libre au milieu des années quatre-vingt-dix, séparant les militants du logiciel libre, que défend Richard Stallman aux partisans de l’open source dont Linus Torvalds fait partie. En effet, une bonne partie de sa génération de hackers n’étaient que peu intéressés par les valeurs de libertés qui étaient véhiculées par le mouvement du logiciel libre depuis ses débuts. Cette génération voyaient le partage des sources par son aspect pratique et efficace. Alors que Richard Stallman a initié le projet GNU pour faire perdurer les valeurs de liberté des hackers et dans un but social revendiqué, Linus Torvalds ne s’est lancé dans le développement de son noyau que « pour s’amuser ». Les partisans du logiciel libre considéraient hérétique l’utilisation de logiciels propriétaires tandis qu’ils n’étaient pas exclus dans l’autre camp s’ils étaient plus performants qu’un logiciel libre.
Le terme open source est d’abord apparu pour écarter la confusion qu’engendre le terme free software qui sous-entend à tord la gratuité (« free as in freedom »→6→ 6 : Sam Williams, Free as in freedom: Richard Stallman’s Crusade for Free Software, O’Reilly Media, 2002.). Il était un moyen d’attirer les entreprises informatiques à s’intéresser au logiciel libre. Mais ce terme, qui avait pour vocation d’édulcorer le mouvement libriste pour lui offrir des ouvertures commerciales mettait de côté la notion de liberté propre à ce milieu. Les représentants de l’open source, dont Linus Torvalds, souhaitaient ainsi « se débarrasser de l’attitude moralisatrice et belliqueuse qui avait été associé au logiciel libre par le passé, et en promouvoir l’idée uniquement sur une base pragmatique et par un raisonnement économique »→7→ 7 : Michael Tiemann, cité par Sébastien Broca, Utopie du logiciel libre, Le Passager Clandestin, 2013 (p.63).

→ 11/05/2014 — Écrits personnels : , Commenter

Champs d’application (v1.1)

Comme nous l’avons déjà abordé précédemment, le libre tire ses origines du milieu de la programmation logicielle. Mais la force de ses valeurs et de ses méthodes de travail lui ont permis de progressivement s’appliquer et s’étendre dans bon nombres d’autres domaines :

• le savoir (Wikipédia, Projet Gutenberg…) ;
• les sciences (Open Access, la pharmaceutique…) ;
• la géographie (Open Street Map…) ;
• l’éducation (Raspberry Pi, MIT OpenCourseWare…) ;
• la politique (open data…)
• l’art ( les arts numériques, la licence Art Libre, les œuvres collaboratives…) ;
• le design d’objet, le design graphique, la typographie… (Libre Objet, Open Source Publishing, Libre Graphic Magazine, la licence Sil OFL…) ;
• L’électronique (Arduino…) ;
• la musique (Jamendo, Open Source Music…) ;
• l’agriculture (Open Source Ecology…) ;
• le journalisme (Open Watch…).
• […]

Le logiciel
Ayant initialement été imaginé pour la conception de logiciel, c’est dans ce domaine que l’on trouve les exemples les plus aboutis et intéressants. Le plus emblématique d’entre eux est certainement le projet GNU (acronyme récursif de GNU is Not Unix) initié par Richard Stallman en 1984. Le but était d’écrire un système d’exploitation entièrement libre, qu’il défend par ces termes :

« Si j’apprécie un programme, j’estime que la Règle d’or m’oblige à le partager avec ceux qui l’apprécient également. Les éditeurs de logiciel cherchent à diviser et à conquérir les utilisateurs en forçant chacun à accepter de ne pas partager avec les autres. Je refuse de rompre la solidarité avec les autres utilisateurs de cette manière. Je ne peux pas, en mon âme et conscience, signer un accord de non-divulgation ou de licence pour un logiciel. Pendant des années, j’ai œuvré au sein du laboratoire d’intelligence artificielle du MIT pour résister à ces tendances et à d’autres manquements à l’hospitalité, mais finalement ils sont allés trop loin : je ne pouvais pas rester dans une institution où ce genre de choses étaient faites en mon nom contre ma volonté.
Afin de pouvoir continuer à utiliser les ordinateurs en accord avec ma conscience, j’ai décidé de réunir un ensemble de logiciels libres avec lequel je pourrai me débrouiller sans aucun logiciel non libre. J’ai démissionné du labo d’intelligence artificielle pour que le MIT ne puisse invoquer aucune excuse juridique pour m’empêcher de distribuer GNU gratuitement. »→1→ 1 : Extrait du Manifeste GNU de Richard Stallman (1993), disponible à l’adresse http://www.gnu.org/gnu/manifesto.html (consulté le 16/04/2014)

C’est ce projet qui a permis de donner naissance aux systèmes d’exploitations libres GNU/Linux, à la licence libre GNU/GPL, au principe du Copyleft et qui a prouvé l’efficacité et la viabilité des projets conçus selon les principes d’ouverture et de libre contribution.

Le logo du projet GNU

Ainsi, l’on trouve actuellement des alternatives libres à la plupart des logiciels propriétaires→2→ 2 : Pour une liste relativement complète, voir l’article Correspondance entre logiciels libres et logiciels propriétaires sur Wikipédia. dont beaucoup n’ont rien à envier à leur équivalent privateur. Dans le domaine du design graphique, des alternatives à l’hégémonique Adobe existent et certaines sont parfaitement utilisables pour une application professionnelle. En voici les principaux :

Scribus pour la mise en page, alternative à Indesign ;
Inkscape pour le dessin vectoriel, alternative à Illustrator ;
Gimp pour la retouche d’image, alternative à Photoshop ;
FontForge pour la création typographique, alternative à FontLab.

Si certains des logiciels de cette liste sont encore loin d’être à leur optimal — Scribus par exemple —, d’autres sont totalement aptes à remplacer leurs équivalents propriétaires. C’est entre-autres le cas d’Inkscape. D’une manière générale, il est important de favoriser leur utilisation pour les valeurs qu’ils véhiculent et pour le potentiel technique de modification et d’appropriation dont ils font l’objet. De plus, c’est par l’augmentation du nombre d’utilisateurs et leur implication dans le processus d’amélioration — pas uniquement technique, mais aussi par les rapports de bug et les suggestions de fonctionnalité — qu’ils pourront constituer de véritables alternatives. Ces logiciels peuvent donc potentiellement dépasser les capacités techniques et créatives de la suite Adobe de par leur méthode de développement et d’utilisation.
Néanmoins, ce n’est pas parce qu’un logiciel est libre qu’il est libérateur. Ce terme, que l’on doit à Benjamin Bayart→3→ 3 : Benjamin Bayart est un informaticien militant pour la neutralité du net et le logiciel libre et président de la Fédération Française Du Net)
→ 4 : À lire sur http://www.framasoft.net/IMG/liberateur.pdf (consulté le 22/04/2014)
dans son article OpenOffice.org, pourquoi pas ?→4, entend qu’en plus d’être libre, un logiciel se doit d’être libérateur dans le sens où il ne doit pas entraver la liberté de l’utilisateur. Benjamin Bayart parle ici principalement de liberté d’informations et de données mais cette idée peut aisément être étendu vers la liberté d’usage. En effet, un logiciel libérateur doit aussi libérer les possibilités créatives et pousser l’émancipation de son utilisateur. C’est pourquoi les logiciels cités précédemment sont éthiquement justes mais pas totalement libérateur car ils cherchent pour beaucoup à remplacer leurs équivalents propriétaires par le mimétisme et donc de reproduire leurs aspects limitatifs.
Le libre savoir
La libre circulation de l’information et des connaissances est au cœur des revendications des militants de la culture libre. Il est donc logique que des initiatives aient vues le jour dans cette optique. L’exemple le plus significatif est bien sûr la gigantesque encyclopédie participative Wikipédia. Nous mentionneront également le projet Gutenberg, bibliothèque numérique regroupant des ouvrages libres de droit, et l’Open Access qui désigne la mise à disposition en ligne d’ouvrages scientifiques.
Wikipédia est un exemple édifiant à la fois par son organisation et par son envergure. Son slogan, « Le projet d’encyclopédie librement distribuable que chacun peut améliorer » illustre bien son fonctionnement directement lié aux valeurs du logiciel libre. En tant qu’encyclopédie libre, Wikipédia est un outil collaboratif alimenté par ses utilisateurs et en constante évolution. Le contenu est sous licence copyleft (CC-BY-SA) ce qui signifie qu’à la manière du logiciel libre, il est librement consultable, modifiable et redistribuable mais doit conserver sa licence. Mais la qualité de Wikipédia repose d’abord sur son organisation. En effet, son système permet une grande fiabilité tout en maintenant une structure hiérarchique minimale, si ce n’est inexistante. Chacun peut ajouter du contenu mais peut aussi en valider ou en remettre en question par un système
de dialogue. Ainsi, à chaque article est associé une page de discussion où l’on règle les litiges par le débat et où l’on s’organise pour optimiser la rédaction de l’article en question. Il est avant tout vérifié que l’article est bien conforme aux principes de neutralité et de citation des sources établis par la communauté. S’il y a litige sur le contenu, celui-ci sera débattu pour tenter d’arriver au consensus. C’est seulement ici qu’intervient une pseudo hiérarchie. En effet, seul les administrateurs officiels, élus par la communauté, sont disposés à prendre la décision finale. Mais ce système hiérarchique est à relativiser, les administrateurs se référants systématiquement à la tournure du débat et se contentant de trancher du côté de la majorité, il ne peuvent juger du contenu ni prendre part à la discussion. On est donc bien loin du principe hiérarchique managérial où la figure du chef fait indiscutablement autorité. La hiérarchie est ici présente uniquement dans un souci organisationnel et technique et est volontairement réduite à son minimum.→5→ 5 : Pour en savoir plus sur le fonctionnement de Wikipédia, voir son article très complet sur le site de Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikipedia, ainsi que sa page à propos: https://fr.wikipedia.org/wiki/Wikip%C3%A9dia:%C3%80_propos.
→ 6 : Source: stats.wikimedia.org/FR/TablesWikipediaZZ.htm (consulté le 18/04/2014)
→ 7 : Jim Giles, « Internet encyclopædias go head to head », Nature, Vol 438, 15/12/2005, p.900-901.

C’est ce système qui a permis à Wikipédia d’exister dans plus de 230 langues et de comptabiliser en février 2014 plus de 31 000 000 articles. Sa version francophone compte un peu moins de 5000 contributeurs actifs à la même date→6. Force est de constater qu’un projet d’une telle envergure peut très bien fonctionner selon ce mode d’organisation. D’autant qu’une étude de la revue Nature datant de 2005 démontre que la fiabilité de la version anglophone de cette encyclopédie est proche de celle de l’illustre Encyclopædia Britannica.→7
Le projet Gutenberg est une bibliothèque numérique qui a pour objectif de mettre à disposition de tous des ouvrages libres de droit, soit parce que l’auteur y a renoncé, soit parce qu’ils sont tombés dans le domaine public. Tout comme Wikipédia, ce projet fait appel à la participation de ses utilisateurs. Pour chaque contribution, les pages de l’ouvrage sont scannées par une ou plusieurs personne puis transformées en format texte par un logiciel de reconnaissance optique de caractère (OCR). C’est ensuite la communauté qui se charge de corriger par la lecture des textes les erreurs laissées par le logiciel OCR. Ils utilisent pour ce faire le service Distributed Proofreaders qui permet de faciliter le travail collaboratif de relecture et de correction. L’esprit du projet Gutenberg est en parfait accord avec la volonté de libération du savoir des défenseurs de la culture libre. Son fondateur, Michael Hart, estimait que le potentiel d’un ordinateur réside principalement dans sa capacité de stockage et donc la possibilité de mettre à disposition des informations. Alors aux prémisses des réseaux numériques, il a immédiatement tiré parti de la capacité qu’offre un ordinateur de diffuser et de copier librement les informations. Le système qu’il a mis en place ne se contente pas d’exploiter la puissance méthodologique du libre mais prend tout autant en compte les valeurs de cette culture, en mettant à disposition des ouvrages qui peuvent ainsi être transmis, ré-édités, reformatés, réutilisés, servir à l’enseignement, etc.
L’Open Access désigne la mise à disposition en ligne de documents scientifiques. Le système et la volonté sont assez similaires au logiciel libre. Les chercheurs mettent à disposition leurs recherches — les sources — de leurs travaux à la communauté scientifique. Ils cherchent ainsi à faciliter les travaux de recherche et le progrès scientifique tout en limitant les entraves du mercantilisme et de l’exclusivisme. Les contenus scientifiques ainsi partagés, permettant la libre citation et la libre réutilisation, n’en autorise néanmoins pas la libre modification, à la différence du logiciel libre. Mais cette restriction est à replacer dans le contexte. En effet, il est important de figer un article scientifique et de lui attribuer un auteur, par exemple pour des articles détaillants des procédures dangereuses. Cela n’empêchant pas toutefois la réutilisation de celui-ci dans le but de l’améliorer ou de le réfuter.
L’art & le design
Les domaines de l’art et du design — dans son sens le plus large — n’ont bien évidemment pas attendu le logiciel libre pour véhiculer des valeurs similaires.
Ainsi, le designer d’objet Enzo Mari a proposé en 1974 le projet Proposta per autoprogettazione, mettant à disposition de tous ses plans de mobilier et incitant les particuliers à les utiliser et se les réapproprier. Les plans étaient faits de telle sorte que les meubles ainsi construits ne nécessitaient qu’un minimum de matériaux — planches de bois, marteau et clous — les rendant ainsi peu onéreux. Son intention était de produire un design anti-industriel, s’écartant du processus classique de production pour passer directement du créateur au destinataire final. De plus, Enzo Mari a licencié ce travail par d’une manière qui se rapprocherait du Copyleft, les plans de ses meubles ne pouvant être réutilisés par les marques et les fabricants, évitant ainsi une récupération commerciale de son travail.

Une chaise du projet d’Enzo Mari et son plan

Un autre exemple est celui de la revue du début des années soixante-dix, Radical Software, portant sur l’art vidéo. Ses membres se sont rejoints autour d’une idée commune : le développement et la disponibilité croissante du matériel audiovisuel sont des facteurs potentiels de révolution et de changement sociaux radicaux. Libristes avant l’heure, ils offraient la possibilité au lecteur de copier et redistribuer librement une partie ou la totalité de la revue. Ils exprimaient cette volonté de partager le savoir sans aucune contrainte en inscrivant un symbole X encerclé, appelé la marque Xerox et lui aussi ancêtre du copyleft.→8→ 8 : L’ensemble des numéros de Radical Software est disponible librement en pdf à l’adresse http://www.radicalsoftware.org/f/browse.html (consulté le 26/04/2014)

Radical Software, No. 1, 1970, p.16

Mais les bases théoriques posées par le milieu du logiciel libre ont engendré un certain nombre de productions artistiques et de design se revendiquant directement de cette affiliation. L’initiative la plus signifiante est certainement la Licence Art Libre initiée par Antoine Moreau, Mélanie Clément-Fontaine, David Geraud et Isabelle Vodjdani. Comme expliqué précédemment, cette licence a pour vocation de transposer les principes du copyleft à la création artistique. Elle fait suite aux rencontres Copyleft Attitude de 2000 qui ont rassemblées artistes et informaticiens.
Les créateurs de cette licence entendent « remettre en forme » l’œuvre d’art, la rendre infiniment inachevée en permettant à quiconque de la reprendre, à condition néanmoins de citer son origine. De cette manière, l’œuvre devient commune.

« Elle est un bien commun qui, dans le cas du numérique, grâce à la copie à l’identique et illimité, est difficilement épuisable. Cette faculté permet également la sauvegarde des différentes étapes de l’évolution de la création. Aussi, rien n’est perdu quand on donne. Bien au contraire : ce qui s’offre à la reprise crée de la génération. »→9→ 9 : Antoine Moreau, Copyleft Attitude : une communauté inavouable ? (http://antomoro.free.fr/left/plastik.html, consulté de 2/05/2014)

Cette posture demande de reconsidérer la question de l’auteur. De propriétaire absolu de son art créant des œuvres originales et
définitives, il devient auteur relais, transmettant autant qu’il a emprunté et œuvrant pour le bien commun et non dans un but d’auto-satisfaction individualiste. La position sacrée de l’auteur est ainsi mise à mal, et ce, dans le but d’un « dépassement de l’art ». Cette attitude est intéressante par le fait qu’elle propose de considérer le bien commun et les avancées sociales au delà de l’individu et de son intérêt personnel.
Enfin, le statut de l’auteur comme créateur « génie », producteur de formes et d’idées orginales et jamais vues paraît absurde. En effet, l’emprunt est inévitable. Et plutôt qu’un défaut, celui-ci est une force positionnant l’artiste comme un témoin, le relayeur d’un contexte social et culturel.

«  On m’a dit l’an dernier que j’imitais Byron…
Vous ne savez donc pas qu’il imitait Pulci ?…
Rien n’appartient à rien, tout appartient à tous.
Il faut être ignorant comme un maître d’école
Pour se flatter de dire une seule parole
Que personne ici-bas n’ait pu dire avant vous.
C’est imiter quelqu’un que de planter des choux  »→10→ 10 : Alfred de Musset, Namouna, Chant deuxième, VIII (1832)


→ 25/04/2014 — Écrits personnels : , Commenter

Présentation de la culture libre (v1.2)

« Celui qui reçoit une idée de moi reçoit un savoir qui ne diminue pas le mien, de même que celui qui allume sa chandelle à la mienne reçoit de la lumière sans me plonger dans l’obscurité. »→1→ 1 : Thomas Jefferson, Lettre à Isaac McPherson, 1813

La culture libre est un mouvement social qui milite pour une libération des œuvres de l’esprit, encourageant la libre circulation et la libre modification de celles-ci. Originairement appliqué à l’informatique et plus particulièrement au logiciel, nous verrons que ce mouvement s’est peu à peu étendu et appliqué à des champs bien plus larges, de l’art aux sciences en passant par le design et l’éducation.
Les quatre libertés
Un logiciel libre — et par extension, toute création libre — se doit de respecter quatre libertés fondamentales pour son utilisateur :

• la liberté d’exécuter le programme, pour tous les usages (liberté 0) ;
• la liberté d’étudier le fonctionnement du programme, et de le modifier pour qu’il effectue vos tâches informatiques comme vous le souhaitez (liberté 1) ; l’accès au code source est une condition nécessaire ;
• la liberté de redistribuer des copies, donc d’aider votre voisin (liberté 2) ;
• la liberté de distribuer aux autres des copies de vos versions modifiées (liberté 3) ; en faisant cela, vous donnez à toute la communauté une possibilité de profiter de vos changements ; l’accès au code source est une condition nécessaire.

Ces conditions fondamentales contribuent à développer une éthique du logiciel. Celui-ci n’est plus un outil passif et neutre mais véhicule des valeurs dont le but est de protéger la liberté de l’utilisateur, de l’impliquer dans le processus de création de ses outils et de permettre une circulation débridée du savoir, tant technique que culturel.
Le libre comme modèle social
De par sa cohérence et ses capacités d’application, la culture libre — en temps que courant de pensée — peut s’envisager comme un véritable modèle social. En effet, le libre défend des principes de liberté d’action et d’expression, de minimisation des systèmes hiérarchiques, d’implication directe et individuelle dans la vie sociale, de participation et de coopération nécessaires à un développement juste, égalitaire et responsable d’une société. Cette posture permet une implication politique et sociale à l’échelle de l’individu sur la base d’une démocratie directe. Le modèle de l’encyclopédie numérique libreWikipédia→3→ 3 : http://fr.wikipedia.org/ par exemple, basé sur le consensus et les discussions, pourrait aisément s’adapter à l’échelle d’une municipalité comme l’a spéculé Pierre-Carl Langlais dans son article Si ma commune s’appelait Wikipédia, tout le monde serait maire→4→ 4 : Article publié sur son blog Hôtel Wikipédia disponible à l’url http://blogs.rue89.nouvelobs.com/les-coulisses-de-wikipedia/2014/04/01/si-ma-commune-sappelait-wikipedia-tout-le-monde-serait-maire-232650 (consulté le 02/04/2014).. L’auteur explique qu’un grand nombre d’enjeux sociaux pourraient se régler sans l’intervention de hiérarchie étatique en transposant le fonctionnement de Wikipédia et ainsi créer une communauté souple, autonome et collaborative. En effet, la fiabilité et l’envergure de Wikipédia repose sur l’implication directe de tout ses contributeurs, utilisant le vote uniquement dans le but d’aider à la décision et de clarifier les consensus. D’autant que la communauté anglophone de Wikipédia compte 30 000 contributeurs mensuels, soit l’équivalent d’une commune de taille conséquente.
Libre ≠ open source
La différence entre libre (free software) et open source est souvent confuse. Ces différentes terminologies proviennent d’une scission qui s’est opérée au début des années 1990 par une divergence idéologique entre les acteurs du mouvement→5→ 5 : Nous reviendrons plus en détail sur cet événement dans la partie portant sur l’histoire du libre.. Alors que le libre englobe une dimension éthique et sociale, l’open source se limite à l’aspect pratique. En effet, le premier défend sans concession la liberté de l’utilisateur. Ainsi, ses protagonistes chargent l’utilisation de l’outil informatique d’une éthique construite sur le partage, l’égalité et la collaboration communautaire et insistent sur le fait qu’un outil n’est pas neutre et que son usage implique l’acceptation de valeurs. De ce fait, l’utilisation de logiciels propriétaires (privateurs comme le désigne Richard Stallman→6→ 6 : Richard Stallman est l’un des fondateurs du mouvement du logiciel libre. Pour plus d’informations, voir http://fr.wikipedia.org/wiki/Richard_Stallman) est a proscrire car il restreint les libertés de l’utilisateur et le rend passif face à son outil. L’approche des partisans de l’open source est différente, leur volonté de maintenir un code source ouvert relève plus du pragmatisme et du désir d’efficacité que de la question éthique, ils considèrent donc les sources ouvertes et le travail collaboratif comme une méthodologie de travail performante. Cette attitude, que l’on peut considérer comme une version édulcorée de la philosophie du libre — disons même le libre sans sa philosophie — entraîne un certain nombre de dérives contre-productives. En effet, de par sa perte de notions politiques et sociales et son aspect plus permissif, l’open source a fait l’objet d’une récupération mercantile jusqu’à être exploité par de grandes entreprises de l’industrie informatique comme Google, profitant ainsi à la fois d’une image positive et progressiste et d’une main d’œuvre à moindre coût. Pourtant, l’exemple de Google sur cette attitude d’apparente ouverture est bien un leurre, en attestent par exemple leur navigateur Chrome ou leur système d’exploitation Android, tout deux construits sur des sources libres mais privatisés dans leur forme finale.
Ces divergences idéologiques ne sont toutefois pas catégoriques. Beaucoup d’acteurs du mouvement ne prennent pas directement position ou oscillent entre les deux mouvements. Beaucoup de projets sont menés tant par les partisans du free software que de ceux de l’open source. Ainsi, on parle de FLOSS (Free, Libre and Open Source Software) pour désigner de façon neutre un logiciel libre et/ou open source. Toutefois, comme le souligne Richard Stallman→7→ 7 : Richard Stallman, Pourquoi l’« open source » passe à coté du problème que soulève le logiciel libre, https://www.gnu.org/philosophy/open-source-misses-the-point.html (consulté le 9/04/2014)., l’utilisation de ce terme ne permet pas de défendre la notion de liberté à l’origine de ce mouvement. C’est pourquoi nous privilégieront ici l’expression libre pour parler de créations partagées, collaboratives, égalitaires et ouvertes.
Licences libres
Un bon nombre de licences permettent de rendre juridiquement fiable le libre. Basées sur le principe du Copyleft — remaniement (« hack ») du copyright visant à empécher la privatisation d’une création libre — ces licences doivent en principe respecter les quatre libertés (usage, étude, modification et redistribution). Dans la pratique, on peut distinguer trois types de licences :

• les licences propriétaires (ou privatrices) ;
• les licences libres copyleft, obligeants la redistribution de copies ou de modifications sous le même type de licence pour protéger les droits de l’utilisateur. Ainsi une œuvre libre doit rester libre ;
• les licences libres non copyleft, autorisant la réexploitation privatrice de l’œuvre et ne visant qu’à rendre le code source ouvert et accessible.

Ces deux dernières appartiennent à la catégorie des licences de libre diffusion.
Parmi les licences copyleft, la plus célèbre et la plus répandue est la GNU General Public License (GNU/GPL). Celle-ci indique qu’elle a pour but de protéger « votre
liberté de partager et de modifier toutes les versions d’un programme, afin d’assurer que ce programme demeure un logiciel libre pour tous ses utilisateurs »
.→8→ 8 : Free Software Foundation, « GNU General Public License », version 3, 29 juin 2007, http://www.gnu.org/licenses/gpl.html (consulté le 09/04/2014).

Dans la catégorie des licences orientées logiciel non copyleft, la Licence BSD →9→ 9 : Voir http://www.freebsd.org/copyright/license.html (consulté le 09/04/2014). est la plus répandue. C’est l’une des moins restrictives et permet de réutiliser tout ou une partie du logiciel sans limitation, qu’il soit intégré dans un logiciel libre ou propriétaire.
Il existe des licences plus particulièrement adaptées aux domaines de l’art et du design. La licence Art Libre (LAL) →10 → 10 : Voir http://artlibre.org/lal (consulté le 09/04/2014). , elle applique les principes du copyleft logiciel à la création artistique. Elle a été créée pour faciliter l’accès aux œuvres d’art et promulgue un usage créatif et actif de l’art. Le cas de la Licence Creative Commons →11→ 11 : Voir https://creativecommons.org/ (consulté le 09/04/2014). est particulier. En effet, celle-ci offre la possibilité de composer la licence de son œuvre en fonction de différents paramètres binaires permettant 6 combinaisons possibles. Ainsi cette licence peut être copyleft (CC-BY-SA), non copyleft (CC-Zero ou CC-BY) ou de libre diffusion (CC-BY-ND, CC-BY-NC, CC-BY-NC-SA ou CC-BY-NC-ND). La licence SIL Open Font License (SIL-OFL) →12→ 12 : Voir http://scripts.sil.org/cms/scripts/page.php?site_id=nrsi&id=OFL (consulté le 09/04/2014) est elle dédiée à la création typographique. On peut lire dans son préambule :

« Le but de la licence OFL est de stimuler le développement collaboratif de fontes à travers le monde, d’aider à la création de fontes dans les communautés académiques ou linguistiques, et de fournir un cadre libre et ouvert à travers lequel ces fontes peuvent être partagées et améliorées de manière collective.
Les fontes sous licence OFL peuvent être utilisées, étudiées, modifiées et redistribuées librement, tant qu’elles ne sont pas vendues par elles-même. Les fontes, ainsi que tous leurs dérivés, peuvent être fournies avec, incorporées, redistribuées et/ou vendues avec des logiciels quelconques, sous réserve que les appellations réservées ne soient pas utilisées dans les produits dérivés. La licence des fontes et de leurs produits dérivés ne peut cependant pas être modifiée. Cette obligation de conserver la licence OFL pour les fontes et leurs produits dérivés ne s’applique pas aux documents crées avec. »

Cette licence est par conséquent très utilisée dans le domaine de la typographie libre, en atteste son utilisation par les fonderies libres OSP-Foundry et Velvetyne par exemple→12→ 12 : Voir la page http://www.etienneozeray.fr/libre-blog/?p=363 pour une liste plus complète de fonderies libres. ou la quantité de fontes disponibles sur les plateformes de distribution comme Open Font Library.
Il est également possible de renoncer à la quasi-totalité de ses droits. La solution est alors de placer son œuvre dans le domaine public, ou d’opter pour la licence Creative-Common CC-0 ou encore la Do What The Fuck you want to Public License (WTFPL)→13→ 13 : Voir http://www.wtfpl.net/ (consulté le 10/04/2014).

→ 31/03/2014 — Écrits personnels : , Commenter

Open Source / Open Course 2014

Vendredi 28 mars 2014
De 17h00 à 19h30
Lieu : Cafétéria de l’Erg, rue du page 87, 1050 Bruxelles
Le vendredi 28 mars, étudiants, enseignants et intervenants extérieurs vous invitent à une sélection de courtes interventions autour de l’Open Source dans les pratiques numériques.
Croisant typographie, graphisme, son et fablab, les présentations introduisent les recherches à l’œuvre au sein de l’école et tracent des liens vers un réseau local libre.

– 17h00: Étudiants BAC 1 SOS Écrire le design, Dessins de tortues et vocalises digitales
– 17h15: Harrisson, Cave 12
– 17h30: Étudiants BAC2, Toolbending, Déclarations d’amour en Python
– 17h45: Femke Snelting et Nils Grauerholz (sous réserve), The Death of the Authors
– 18h00: Stéphane Noël, Processing dans la vie pratique
– 18h15: Bastien Sozoo, Typographies libres
– 18h30: Antoine Gelgon, Autopia
– 18h45: Étienne Ozeray, WikiPapier + Design graphique libre
– 19h00: Mathieu Gabiot, Libre Objet


→ 22/03/2014 — Art, Design graphique, Initiatives & événements, Typographie Commenter

Coding Freedom, The Ethics and Aesthetics of Hacking
Gabriella Coleman

Who are computer hackers? What is free software? And what does the emergence of a community dedicated to the production of free and open source software–and to hacking as a technical, aesthetic, and moral project–reveal about the fraught contemporary politics of intellectual law? Coding Freedom, an ethnographic account of free software development, examines how these hackers are at the forefront of fomenting a vibrant political culture of civil liberties online.
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→ 20/03/2014 — Livres & textes Commenter

Two bits, the cultural significiance of free software
Christopher M. Kelty

In Two Bits, Christopher M. Kelty investigates the history and cultural significance of Free Software, revealing the people and practices that have transformed not only software, but also music, film, science, and education.
Free Software is a set of practices devoted to the collaborative creation of software source code that is made openly and freely available through an unconventional use of copyright law. Kelty shows how these specific practices have reoriented the relations of power around the creation, dissemination, and authorization of all kinds of knowledge after the arrival of the Internet. Two Bits also makes an important contribution to discussions of public spheres and social imaginaries by demonstrating how Free Software is a “recursive public” public organized around the ability to build, modify, and maintain the very infrastructure that gives it life in the first place.
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→ 20/03/2014 — Livres & textes Commenter

Pour un design graphique libre

Blog destiné à regrouper mes recherches pour mon mémoire portant sur les relations entre design graphique et culture libre.